La bonne guerre
cause des hordes de fascistes qui ratissaient tout le
secteur. On a réussi un assez beau tableau : bombardements de dépôts de
munitions, attentats à l’explosif contre des casernes et attaques de convois.
En plus, on parachutait de l’armement et du matériel
sanitaire. Pour la nourriture, les partisans se débrouillaient, ils habitaient
la campagne, et vivaient d’échanges. Ils pouvaient obtenir un veau entier
contre une caisse de savon ou de cigarettes. On leur parachutait aussi de l’argent :
des francs suisses, des livres sterling, des dollars américains et des lires
italiennes. Généralement des sommes d’environ 16 000 dollars.
Les résistants étaient magnifiquement organisés. Nous les
entraînions au maniement de nos armes. Ils adoraient les bazookas.
Au départ c’étaient surtout des socialistes et des
communistes, des Garibaldini comme ils s’appelaient. Ils portaient des foulards
rouges à la façon de Garibaldi au cours de la guerre pour l’unification de l’Italie.
Plus tard, les monarchistes, les chrétiens-démocrates et les libéraux se sont
joints à eux : les résistants de la dernière heure. Ils ne voulaient pas
que communistes et socialistes récoltent toute la gloire après la guerre. Ils
ne voulaient pas non plus qu’on pût dire qu’ils n’avaient pas pris part au Movimento della Liberazione.
Nous faisions des choses assez peu conventionnelles. Les
services secrets de l’armée de terre et de la marine n’appréciaient pas
vraiment la manière de procéder de Donovan : il recrutait tous ceux qui
étaient prêts à lutter contre les fascistes. Il disait : « Je me fous
complètement de leur couleur politique, pourvu qu’ils se battent contre ces
espèces de salauds et qu’ils aident à sauver la vie des Américains. » Il a
recruté des types comme Milton Wolff, qui avait combattu dans les rangs de la
brigade Lincoln durant la guerre d’Espagne. Ils travaillaient derrière les
lignes et risquaient leur vie. Donovan se fichait complètement qu’ils soient
communistes. Ils étaient SI : Spécial Intelligence, des espions qui
travaillaient parfois en civil et se mêlaient aux partisans. Nous nous étions
des OG, des groupes opérationnels, et on travaillait toujours en uniforme.
Vers la fin de la guerre le capitaine McCormick [22] a cru faire un scoop sans précédent : il appelait l’OSS, Oh-Si-Secret !
e t a étalé en première page du Chicago Tribune, en caractères
énormes : L’OSS INFILTRÉE PAR LES COMMUNISTES. Chose bien connue de tous
ceux qui connaissaient un peu l’OSS. Le plus drôle c’est que des gars comme
Wolff et les autres types de la brigade Lincoln qui étaient SI ont fait un
boulot du tonnerre pour l’OSS.
McCormick a essayé d’exploiter cette affaire sur le plan
politique, mais il n’a jamais réussi à aller jusqu’au bout car il ne faut pas
oublier qu’aux yeux des Américains ce n’était pas une faute grave d’avoir
combattu aux côtés des loyalistes en Espagne. C’était, il faut bien le dire, un
gouvernement élu démocratiquement. Vraiment, Wolff et les autres ont été
traînés dans la boue par le Chicago Tribune.
Presque tous les gars qui travaillaient avec nous étaient
plutôt des libéraux. Nous étions des Italo-Américains recrutés dans les
quartiers ouvriers des grandes villes comme New York, Chicago, Cleveland, Boston
ou ailleurs. Contrairement aux Japonais, nous n’avons pas été internés, mais
nous savions qu’en tant qu’Italiens il nous faudrait faire nos preuves. Nous n’avions
pas une grande conscience politique, cependant au coin du feu dans notre villa
nous discutions de la guerre. L’Amérique deviendrait-elle meilleure ? Serait-ce
la fin des injustices ? Nous commencions tout juste à entendre parler de l’Holocauste.
On y croyait vraiment à cette guerre, rien à voir avec la Corée ou le Viêt-Nam.
Les soldats pensaient vraiment qu’elle allait nous amener un monde meilleur.
Il y avait une camaraderie exemplaire, nous sommes d’ailleurs
toujours en relation les uns avec les autres : nous avons notre propre
association, les anciens de l’OG. On a même un surnom un peu cloche : les
Donovan’s Devils. (Il rit.) On se raconte comment, à nous tout seuls, on
a gagné la guerre. (Il rit.) On se demande si les jeunes d’aujourd’hui
savent pourquoi on s’est battus. On a tous un peu perdu nos illusions, mais on
est toujours persuadés qu’on a eu raison de le faire.
À
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