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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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comme par le passé. Cela ne sera plus possible le
siècle prochain.

Marnie Seymour
    Je l’ai rencontrée tout à fait par hasard dans le hall d’un
hôtel new-yorkais, et j’avais heureusement un magnétophone avec moi.
    Elle est mariée, et mère de quatre fils de vingt-sept à
trente-quatre ans. « Le baby-boom, quoi, toutes les filles avec qui j’allais
en classe voulaient beaucoup d’enfants. Nous étions les enfants de la Crise, de
petites familles, et nous regrettions de ne pas avoir eu plein de frères et de
sœurs. » Son mari, Harry, avait été mobilisé, mais il avait obtenu l’autorisation
de terminer ses études d’ingénieur. « Nous étions les seuls jeunes de la
ville, tous les autres étaient à l’armée. » Cela se passait à Benton dans
l’Illinois. « La capitale de la Petite Egypte, une région minière. »
Il a essayé de s’engager dans la Royal Air Force canadienne, mais on l’a refusé
à cause de sa vue. « À la fin ils mobilisaient même des gens à moitié
aveugles. »
    En 44 mon mari a été détaché du Corps des ingénieurs pour
être envoyé à Oak Ridge dans le Tennessee, sans savoir pourquoi. Avec lui on
avait sélectionné tout un groupe d’ingénieurs chimistes. Personne ne savait ce
qu’était Oak Ridge. Il m’écrivait, mais les gens là-bas avaient un système de
censure très au point. Nos journaux locaux, les publications de nos
associations, tout, absolument tout était épluché pour voir s’il n’y avait pas
de fuites. Le secret était bien gardé.
    Comme il fallait fournir des références émanant de trois
personnes différentes, nous avons donné les noms des personnages les plus
importants de la ville où nous habitions. Jusque dans les années soixante, à
chaque fois que nous avons déménagé le FBI a enquêté sur nous. Partout où nous
allions, nos voisins nous disaient que le FBI était venu se renseigner sur
notre compte. Ça faisait quand même son petit effet quand vous arriviez quelque
part et que vos voisins vous disaient que le FBI était venu les interroger. C’était
très utile. (Elle rit.) Ils montraient leur carte du FBI et leur
disaient : « Nous avons quelques questions à vous poser sur vos
nouveaux voisins. » Et les personnes que nous avions données comme
références nous disaient : « Oh, Marnie et Harry, qu’est-ce que vous
êtes encore en train de fabriquer ? On vient d’avoir de nouveau la visite
des agents du FBI. » Nous leur disions toujours qu’on travaillait à la
défense de l’Amérique à Oak Ridge. Comme ça il n’y avait pas de problème.
    C’était vraiment un trou infect. Les trottoirs étaient en
planches, et la ville grouillait de rats. Il y avait plus de rats que d’habitants.
La ville était une vraie forteresse, tout entourée d’une clôture. Elle avait
été hâtivement aménagée au bulldozer dans la montagne, et pendant longtemps il
n’y a pas eu de logement convenable pour les GI mariés. À chacun donc de se
débrouiller pour trouver de quoi se loger en dehors de la ville. Nous avions
une chambre dans un motel, et nous y faisions notre cuisine.
    Il y avait des milliers de personnes, des civils et des GI. Presque
tous les GI étaient ingénieurs. Il y avait trois usines, désignées par un
numéro et une lettre : Y12, K25, et je ne me souviens plus comment s’appelait
la troisième. Elles travaillaient selon trois procédés différents pour séparer
l’uranium 235, mais personne ne savait lequel des trois procédés marcherait, ni
même d’ailleurs si un des trois marcherait. Bien entendu, ces usines
fonctionnaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
    Je me suis trouvé un boulot complètement délirant. Dans le
laboratoire j’étais responsable d’un spectromètre, à l’aide duquel je testais
le minerai après son lavage afin de m’assurer qu’aucune impureté ne s’y était
glissée. Nous le manipulions avec des gants d’amiante, et je n’ai jamais compris
comment cet appareil fonctionnait. Je crois qu’à part ceux qui l’avaient conçu
très peu de gens en avaient compris le fonctionnement. C’était un boulot
terriblement monotone. Personne ne savait mettre la machine au point, sauf un
type à Washington. Et nous passions notre temps à traîner, à lire des magazines,
en attendant qu’il vienne. (Elle rit.)
    J’étais très fière de Harry, très satisfaite de lui. Je
pensais qu’à travailler à la réalisation d’une bombe aussi puissante

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