La bonne guerre
raciale.
Il nous a fallu longtemps pour nous rendre compte de la
valeur des Japonais. Nous ne pouvions pas y croire. Une fois, j’étais sur un
atoll du Pacifique sud que nous venions d’occuper. Il restait encore quelques
bateaux japonais dans le port. Nous nous sommes trouvés face à face avec deux Japonais
qui ont préféré se pendre plutôt que de se faire capturer. Nous les haïssions
pendant la guerre. C’étaient des Japs. C’étaient des sous-hommes.
J’ai détesté ces quatre années dans le Pacifique, quel ennui !
Pourtant j’ai pris part à treize engagements, j’ai coulé un sous-marin, et j’ai
été le premier à débarquer à Roi, sur l’île de Ponape. J’ai vraiment considéré
ces quatre années de ma vie comme un gâchis épouvantable. J’ai perdu de
nombreux amis. J’ai dû raconter aux parents de mon compagnon de chambre les
derniers jours que nous avons vécus ensemble. Vous perdez un bras, une jambe, la
vue, une partie de vous-même, pourquoi ? Des vieux envoient des jeunes à
la guerre. Drapeaux, bannières et grandes phrases patriotiques.
Si je suis resté dans la Navy c’est parce que je croyais que
les États-Unis pouvaient vraiment préserver la démocratie dans le monde. J’allais
dans les lycées en uniforme pour expliquer aux gamins que je pensais que c’était
idiot de faire la guerre, qu’il ne fallait pas écouter toutes ces foutaises à
propos de l’héroïsme, de la bravoure, et de la beauté qu’on rencontre dans les
poèmes, dans les romans ou au cinéma. Je leur disais que la guerre était une
chose affreuse et lamentable.
Après la guerre nous étions la nation la plus puissante. Finies
les restrictions. Nous étions contents d’être des gens importants. Nous menions
le monde. Nous étions la seule grande nation qui ne fut pas dévastée. La France,
la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne portaient les stigmates de la guerre.
L’Union soviétique, notre grande alliée, était à genoux. Vingt millions de
morts.
Nous sommes uniques au monde, une nation qui compte trente
millions d’anciens combattants. Nous sommes le seul pays au monde qui se soit
engagé dans une guerre depuis 1940. Comptez les guerres : la Corée, le Viêt-Nam,
comptez les années. Nous avons formé parmi nos hommes politiques un groupe d’hommes
âgés qui pensent que le service militaire est une noble expérience. Ç’a été la
grande aventure de leur vie et ils aimeraient voir des jeunes venir la partager.
Nous sommes uniques.
Nous sommes toujours allés faire nos guerres ailleurs, ce
qui fait que nous n’en connaissons pas les horreurs. Soixante-dix pour cent de
notre budget militaire sont destinés aux guerres à l’étranger.
Nous avons institutionnalisé le militarisme. Ç’a été un
résultat de la seconde guerre mondiale. En 1947 nous avons voté le National
Security Act, loi sur la sécurité nationale. Vous ne trouverez le terme de
sécurité nationale dans aucune littérature antérieure à 1947. C’est ce qui a
amené la création du ministère de la Défense. Auparavant, quand des fonds
étaient attribués au ministère de la Guerre, vous saviez qu’ils étaient
destinés à la guerre, et les choses étaient claires. Maintenant ils sont
destinés au ministère de la Défense. Tout le monde est pour la défense. Sinon
on est considéré comme un traître à la patrie. Ce qui fait que les sommes qui
doivent lui être allouées sont sans limites. C’est comme ça qu’ils ont réussi à
convaincre tous les chrétiens : le droit à l’autodéfense. Même ce qu’ils
appellent la « guerre juste » a été englobé dans cette notion.
Avant nous n’avions jamais eu d’équipe regroupant les trois
corps d’armes. Pendant la seconde guerre mondiale, il y avait une vague entente,
mais rien d’institutionnalisé. Ça a débouché sur le Conseil de sécurité
nationale. C’est aussi comme ça qu’a été créée la CIA, qui est peut-être en
train de nous espionner en ce moment même. Pour la première fois dans l’histoire
de l’humanité un pays a divisé le monde en districts militaires. Aucune autre
nation ne l’avait fait auparavant, et aucune autre ne l’a fait depuis. Ils ont
une solution militaire à tout ce qui se produit dans chaque secteur. Ils
élaborent des plans d’intervention conditionnelle – un euphémisme pour « plans
de guerre ». Le général Bernie Rogers a les services secrets, la
logistique, les avions, le
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