La Cabale des Muses
moi !
— En aucun cas.
— Jamais, je serai une princesse. D’abord, je suis qu’une gueuse de la pire espèce ; ensuite, je serai jamais une vraie fille : tu vois pas que mes seins ont pas grossi d’une once en deux mois ?
— Je ne peux pas deviner sous ces somptueux atours.
— Ils sont ridicules, je vais te montrer…
— Garde-t’en ! Le printemps prochain y remédiera avec la montée de la sève et l’épanouissement des fleurs. Aimes-tu toujours apprendre, Lisa ?
— Oui… Pourquoi ?
— Alors, il faut que ton corps reste en l’état jusqu’à la fin des cours de manière à demeurer Gautier le temps nécessaire. Après, il nous faudra inventer un autre subterfuge. Tu deviendras une belle jeune fille, je te le garantis ; mais il faudra aussi que tu apprennes la pudeur.
— Je suis très prudente.
— Pudique, voulais-je dire.
— Pourquoi pas prude, pendant qu’tu y es !... mais avec toi, j’ai pas honte, c’est différent. Tu me reluques pas comme tous les hommes.
— Merci. Dis tout de suite que je n’en suis pas un !
— En tout cas, pas comme un bougre en rut, voilà ce que moi je voulais dire. T’es différent des autres, je sais pas pourquoi…
Elle chevaucha ses cuisses, croisa les doigts derrière la nuque raidie de Lebayle, posa sa joue sur sa poitrine et sanglota. Pour l’heure, c’était encore une petite fille.
Une vision subite offrit à Géraud une réponse à cette lancinante question, l’image de ses cadettes : Amélie, Lucie et Rose. Il aimait Lisa comme sa petite sœur adoptive et cette constatation le rassura.
Il la berça, la câlina.
XXXV
L E PRINTEMPS FIT UNE APPARITION PRÉCOCE , se retira devant les piques matinales d’une gelée blanche qui brûla les bourgeons imprudents, puis s’installa sans rémission. Une certaine routine s’instaura entre Géraud et Lisa qu’il arrachait le dimanche à l’école des Muses où Jean-Charles se tenait sur le qui-vive. Geoffroy n’importuna plus Gautier et garda ses distances.
Affinius semblait attendre une réponse importante de la Hollande. Marianne notait les allers et retours du mari de sa sœur aînée, le docteur Kerkerin, qui venait soi-disant pour soigner la blessure de Rohan, reçue à Maëstricht. Nazelle estimait que celle-ci ne nécessitait pas le déplacement d’un médecin, même émérite, depuis les Provinces-Unies. Elle avait entendu évoquer plusieurs fois la Gazette de Bruxelles que l’on trouvait en France ; et La Tréaumont traînait davantage dans les parages quand il ne complotait pas avec ses hommes de main au bouge parisien de Castaro où Pistol gardait une oreille. L’enlèvement avorté du dauphin paraissait avoir assagi celui-ci, si bien que « l’Union des gentilshommes de France » se maintenait en léthargie. Mais Saint-Aignan, que Louisette informait avec efficacité, restait attentif à leurs réunions secrètes tandis que l’on surveillait toujours les côtes normandes et l’horizon. Début mars, le président du Parlement de Rouen avait annoncé à Louvois qu’il avait procédé à plusieurs arrestations qui avaient rendu prudents les autres insurgés.
Afin de ne pas être suspect, le faux propriétaire terrien, Lebayle de la Calandre, lors de ses passages avait signalé sa présence sans chercher à s’immiscer davantage dans la ligue, conservant cette carte en cas de nécessité absolue.
Fallait-il s’attendre à un embrasement pour l’été ? Le roi avait répondu aux courriers de Saint-Aignan : « Vous m’avez fait plaisir de me mander par ce gentilhomme (monsieur de Beuvron) ce que vous avez découvert du dessein de la personne nouvellement arrivée au Havre (La Tréaumont). Il est bon de le faire observer pour être averti de tout, mais il ne faut pas l’empêcher d’exécuter sa commission, ni la compagnie qu’elle attend d’aller où elle lui plaira. Au contraire, il ne faut pas que vous fassiez semblant de rien voir. »
Lebayle détestait ces périodes de latence et d’hésitation où il ne se passait rien en apparence. Elles lui évoquaient la charpente d’une toiture qui, intacte de l’extérieur, se voyait rongée par les termites et les capricornes. Un jour, toute la structure s’écroulait sur les malheureux habitants. Il valait donc mieux rester en dehors des organismes officiels. C’est pourquoi, avec l’approbation de monsieur de La Reynie, il louvoyait d’un groupe à l’autre, s’informait sans
Weitere Kostenlose Bücher