La Cabale des Muses
quelque mal perfide.
Géraud tira sa chemise entre ses jambes afin de ne pas paraître trop impudique, bien que sa tenue ne troublât en aucune façon la soignante bénévole. Elle trempa des linges dans l’eau tiède, nettoya, rinça la balafre avec une grande douceur, en recouvrit d’une pommade grasse et parfumée les lèvres suintantes, y fit adhérer une gaze, puis serra une bande de tissu autour de la cuisse.
Ce qui embarrassait Lebayle, c’est que la position plongeante dans la gorge de la dame, les effleurements de ses mains agiles ne le laissaient pas de marbre et que celle-ci l’avait remarqué. Trahi par ses instincts, il était en train de compromettre une mission si bien engagée. La marquise allait se méprendre, s’offusquer et il ne lui resterait qu’à battre en retraite… tête basse.
Elle dénoua alors un ruban de sa robe et s’en servit pour maintenir le pansement autour de la jambe.
— Vous ai-je fait mal ? s’enquit-elle, en levant vers lui des prunelles limpides de candeur.
— En aucune manière, madame, vous avez des doigts de fée et…
Les doigts de fée remontèrent contre la face interne de la cuisse de Géraud, frôlèrent le prétentieux objet de ses angoisses qui, impétueux, se cabra aussitôt.
— Je suis heureuse de constater, souffla-t-elle d’une voix rauque, que la perte de sang que vous avez subie n’a pas mis vos ardeurs en péril.
Avant qu’il ne puisse répliquer, l’autre main s’immisçait par en dessous à l’examen médical des accessoires indispensables tandis que, sourcils froncés, d’un regard sévère, elle lui interdisait tout regimbement.
— Monsieur, il ne faut rien négliger, un nerf pourrait être touché qui vous réduirait à la paralysie. Quant à cet intempestif inconvénient-là, ne vous inquiétez pas, je connais le remède qu’il faut y appliquer pour le réduire, au risque de plus graves complications.
Pouvait-il la fâcher ? La désobliger ?
Elle s’inclina entre ses genoux, se montra habile dans la thérapie, experte en agaceries, câlineries et mignotises…
XIV
G ÉRAUD AVAIT DORMI MIEUX QU’UN ENFANT … mais où était-il ? Il ravauda la toile d’araignée de ses souvenirs… La fausse attaque, sa chevaleresque intervention, la blessure stupide, la marquise et sa… soif de le guérir.
Il se trouvait allongé sous le ciel gris perle d’un baldaquin aux rideaux ouverts, de damas rehaussé d’un passement rose.
Il est souvent un grain de sable pour dérégler la mécanique savante d’un plan bien établi. En l’occurrence, c’était plutôt une goutte d’huile qui avait lubrifié les rouages grinçants du sien, au-delà de toute espérance. Il faillit glousser de ce doux coup du sort, mais ravala son hilarité car son infirmière dévouée et attentionnée reposait à son côté, sur le ventre, entortillée dans le drap torsadé, si bien qu’il était lui-même à découvert, aussi nu qu’elle.
Les volets étaient clos, cependant, il devait faire jour car une pâle clarté filtrait à travers les rideaux des impostes en demi-lune, situées au-dessus des fenêtres.
Il rattrapa un fil de trame de ses pensées, le noua à ceux du présent. La friande l’avait si promptement envoûté par ses caresses inattendues que, défenses abattues et sens exacerbés, il avait, sans combattre, rendu les armes. Puis elle l’avait guidé, chancelant vers cette chambre au décor pastel, entraîné vers ce vaste lit, lui avait interdit toute initiative : « afin que votre cicatrice ne se rouvre », s’était dévêtue avec l’aide de Louisette et l’avait aussitôt chevauché, arguant dans le souffle suivant : « … et que vous calfeutriez la mienne, si chaude et fragile »…
Cet autre fil, blond, c’était Louisette. Elle était revenue plus tard avec une collation tandis qu’ils pantelaient sans pudeur à l’issue d’un assaut sauvage. Ils avaient dû se délecter et tarir la carafe…
Il tourna la tête vers la marquise, les cheveux épars sur ses épaules rondelettes sans excès. Belle amazone pour son âge, et furieuse cavalière comme il en avait rarement rencontré.
Géraud frissonna à l’évocation du sieur des Préaux qui se morfondait dans l’attente du mariage. La farouche avait une conception très personnelle du veuvage… Son deuxième !... D’ailleurs, ne la soupçonnait-on pas d’avoir occis ses deux premiers maris, messieurs Quatremont d’Heudreville et Malorty de
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