La Cabale des Muses
confuse, l’oncle a imposé son veto. Il les a contraints à deux années d’abstinence par une diatribe moralisatrice qui correspond mal à sa propre éthique de vie – s’il en a une – mais soi-disant par respect pour le défunt. En vérité, c’est dans le but de garder le jeune neveu sous sa coupe, le temps que se réalisent ses desseins.
— Habile et sournoise stratégie.
— Je pense donc que, par l’intermédiaire de cette femme éplorée… éplorée de ne pouvoir convoler dans l’immédiat avec le bellâtre de onze ans son cadet, vous avez un contact probable.
— Bigre ! Il faudra qu’elle entretienne encore de beaux avantages pour le faire lanterner deux années supplémentaires !
— Elle n’en est pas dépourvue, et son tempérament ardent entretient… les gorges chaudes. De surcroît, elle possède le charmant château d’Eudreville, une belle bâtisse au bord de l’Eure, près d’Andelys. Il ne nous manque que le subterfuge capable de vous introduire – si je puis m’exprimer ainsi – de façon naturelle.
— À défaut d’une stratégie brillante et inédite, dans l’urgence, les vieilles recettes restent toujours efficaces. Il suffirait que vous puissiez tenir à ma disposition la personne chargée de sa surveillance, une demi-douzaine d’hommes à toute épreuve et quelques habits de bonne facture.
— C’est envisageable et ne présente pas de difficultés insurmontables.
Ils réglèrent les détails d’intendance dès que Géraud eut révélé les grandes lignes de son plan. Le duc, bien qu’encore indécis, était prêt à collaborer au mieux.
Le stratagème ébauché était des plus ordinaires : simuler une attaque de brigands au cours de laquelle surviendrait le sauveur sans peur et sans reproche.
La « horde » se composerait de cinq braves gars – l’effectif complet de Saint-Aignan – dont Lebayle éprouva les modestes qualités d’escrimeurs avant de répartir les rôles. Il entraîna davantage les deux plus habiles et régla un combat élémentaire mais spectaculaire ; les trois autres étant chargés d’arraisonner le carrosse de madame de Villars et de tenir le personnel en respect : le cocher, sans doute un ou deux laquais, et la camériste qui n’était autre que la cousine de l’un des occasionnels « hommes de main », et l’informatrice par qui tout se savait. Précisément, la marquise devait, le lendemain, passer la journée chez une amie aux Andelys, à huit lieues et revenir le jour d’après. C’était l’occasion idéale pour répéter et mettre en place l’interception sur la petite route longeant la rivière d’Eure. Au jour dit, Géraud disposa ses acolytes grimés en coquins, de manière à ne pas être reconnus par la suite, et se positionna lui-même sur une courte éminence boisée au-dessus de Fontaine-Heudebourg, dernière intersection à une demi-lieue d’Eudreville.
Il était cinq heures du soir. Le retour de la marquise était prévu une heure plus tard environ, sauf incident, ce qui lui laissait le temps de se reposer sans froisser ni souiller son bel habit – un peu étroit aux épaules – et de ruminer des pensées saumâtres.
— Ma brave Jurance, confia-t-il à sa jument en lui gratouillant le chanfrein, crois-tu que notre fable soit assez crédible ?... Tu la trouves médiocre, comparée à d’autres que j’ai imaginées par le passé. Je suis d’accord avec toi, toutefois, c’est une industrie ordinaire sur les grandes routes de France et de Navarre. Mais ici, je te le concède, qui aurait l’idée d’enlever une dame seule et sans un fort soutien financier susceptible de payer une bonne rançon… ? La cible n’est pas le meilleur parti pour des brigands, même de petits chemins. Tu as raison, l’effet de surprise et la peur ne doivent pas laisser aux victimes le temps de réfléchir…
Le soleil déclinait du côté du castel, ce qui n’était pas un avantage. Géraud vérifia sa tenue, ses armes, la sangle de sa selle, affûta ses arguments. Car là aussi, le prétexte était mince ! Que faisait-il à cette heure avancée sur une voie poussiéreuse et ravinée, parallèle à la route Louviers-Vernon, plus sûre et mieux entretenue ? Il pouvait prétendre qu’il revenait d’Évreux, plus au sud. Mais ne se noyait-il pas dans des détails inutiles ? À vouloir trop bien faire, on rate parfois l’objectif !
— Ma belle, je crois que ce noble sauvetage d’une veuve –
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