La Cabale des Muses
que l’on dit peu affectée par son veuvage – ne courant aucun danger réel sera ajourné car le crépuscule…
Il se tut parce qu’un panache ocre s’élevait du côté d’Écardenville. Ce n’était pas trop tôt ! Le soleil défroissait et tirait déjà ses draps en brume de chaleur perlée. Le carrosse correspondait en effet à la description qu’on lui en avait faite. Il progressait dans sa direction à bonne allure. La dame était pressée de regagner sa belle demeure.
— Pourvu que nos hommes ne se laissent pas surprendre !...
Géraud ruminait des soucis pour rien : il vit remuer à l’endroit où ils s’étaient postés. La voiture traversa le hameau constitué de trois fermes en quinconce et les dépendances. Il se mit en selle et laissa le vent d’ouest balayer la poussière vers les champs, puis s’avança au petit trot. Des exclamations lointaines, un hennissement lui signifièrent que le guet-apens avait fonctionné. Il devait intervenir, ni trop tôt ni trop tard. Les cris aigus de la camériste lui parvinrent. C’était le signal convenu.
Il mit Jurance au galop. La caisse du carrosse penchait sur la droite, deux roues dans le fossé. La servante gisait dans l’herbe, sa maîtresse, malmenée par deux malandrins, se débattait.
— Halte-là ! hurla Lebayle. Bande de lâches ! Agresser une femme seule ! N’avez-vous pas honte ? Défendez votre vie !
Il dégaina l’épée de d’Artagnan, évita les moulinets d’un des faux coupe-jarrets et fit mine de le transpercer. L’homme roula dans le bas-côté en râlant exagérément.
Il sauta à terre. Aussitôt, deux adversaires se présentèrent : attaques, ripostes bien réglées, insultes et braillements. Géraud écarta les lames, se jeta entre les bretteurs, opéra une rapide volte-face de manière à ce qu’ils aient le soleil dans les yeux. Le combat reprit avec la furie d’un véritable duel à mort et des coups lourds, des passes appuyées, des feintes grossières, si bien qu’il dut rompre avant de repartir à l’assaut en coupés rageurs afin de reprendre l’avantage. Ils jouaient leurs rôles avec un peu trop de sérieux et de ferveur.
Lebayle décida de précipiter l’épilogue. Coupant en quarte sans appuyer son geste, il se fendit, mais son compère de droite agit de même, le bras tendu. Sa lame traversa le haut-de-chausses de Géraud et entailla la face interne de la cuisse ! Un cri lui échappa, authentique. Surpris, l’autre se rétracta. Lebayle simula un embrochement jusqu’à la garde en beuglant :
— Meurs, traître !
Ce que celui-ci imita à la perfection.
— À l’autre, à présent !
D’un revers sec, il neutralisa le second qui ne résista pas, et prit ses jambes à son cou. Jurance était venue à sa hauteur comme pour s’interposer. Il saisit la crosse de son pistolet qui dépassait de la fonte et tira au-dessus de celui qui tenait le cocher et le serviteur en respect. Le bandit pirouetta comme touché à la tête et s’écroula dans les orties. Les deux derniers s’enfuirent à travers champs.
Géraud souffla, cramponné à sa selle. Les bougres avaient mis du cœur à l’ouvrage pour rendre l’attentat le plus authentique possible… un peu trop, même ! Puis il s’avança vers la marquise, une femme élancée au regard d’un bleu pâle fascinant.
— Mes hommages, madame. Je me suis permis d’intervenir car vos gens paraissaient en difficulté pour assurer votre protection. Je suis le chevalier Lebayle de la Calandre. Je suivais un raccourci, en revenant d’Évreux, bien m’en a pris et…
— Je suis la marquise de Villars. Je vous dois la vie et mon honneur, chevalier, car ces fripouilles allaient me faire subir, je le crains, un triste sort.
— C’est Dieu qui a guidé mes pas. Toutefois, il serait prudent de ne pas s’attarder dans les parages, les survivants pourraient ameuter des comparses. J’observe que votre personnel est parvenu à dégager votre carrosse sans grands dommages. Y a-t-il un havre à proximité jusqu’où je puisse vous escorter ?
— Mon castel n’est qu’à une portée de fusil, au premier carrefour à main gauche. Vous êtes de la plus grande courtoisie, je ne puis qu’accepter votre offre et vous retarder encore un peu.
— Peu importe, madame, je ne suis pas attendu.
Se redressant, le commissaire lui proposa l’appui de sa main pour remonter en voiture tandis que le valet relevait la jeune servante prostrée
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