La Cabale des Muses
Dans cette délicieuse missive, elle décrivait la tyrannie paternelle en termes forts. Désormais, elle était interdite de sorties et de rencontres avec quiconque. Quelqu’un les avait-il dénoncés ?
L’éploré avait alors imaginé cent stratagèmes pour arracher sa princesse à cette position accablante. Seulement, il n’était qu’un pauvre militaire désargenté. Il repartit donc à la guerre, rêvant d’un retour flamboyant, tout couvert de gloires et de pistoles, pour demander la main de sa belle. Hélas, la suite ne fut pas à la hauteur de ses espérances. À son retour, il apprit que le père despotique avait enfermé sa fille volage dans un couvent. Lequel ? Du Cauzé n’en avait aucune idée, ni ses amis les mieux renseignés non plus.
Ainsi, tous les jours, déroulant ses recherches en spirale depuis le cœur de Paris, il tentait de retrouver la trace de Virginie et rentrait chaque soir plus fourbu et dépité que la veille.
Sans la voir réellement, car trop englué dans ses pensées saumâtres, il assista à la scène des deux pisseux et au repli stratégique de Gautier-Lisa. La porte de la chambre du dessous venait de claquer, le tirant de sa mélancolie. Il s’ébroua, se morigéna encore :
« Ton ami Lebayle t’a confié la garde de cette petite mésange et tu ne t’en occupes guère. Ce n’est pas très convenable de ta part, du Cauzé. Je ne reconnais plus le vaillant mousquetaire qui bravait les interdits et montait à l’assaut des fortifications sous le feu nourri des ennemis ! Jette ton égoïsme larmoyant aux orties de ce jardin en friches luxuriantes, Nazelle, ce n’est pas ce qui manque ! Et cours t’intéresser à cette malheureuse enfant qui a tant besoin d’un allié dans cette nasse grouillante de jeunes écervelés chicaneurs ! »
1 - Faisons confiance à ses propres mémoires afin de ne pas dénaturer ses nobles sentiments.
XVI
L ISA NE PARVENAIT PAS À S’ENDORMIR , ses boyaux gargouillaient de cette nourriture trop riche, si nouvelle et goûteuse, comparée à son régime indigent d’autrefois d’un moinotin 1 qui grappillait çà et là ce qui lui tombait de comestible sous la quenotte, hors les maigres repas que sa mère fricotait à grand-peine pour sa marmaille piailleuse, avec un homme violent et des fils voraces, tous avinés la plupart du temps. Il est vrai qu’elle avait tendance à se gaver depuis qu’elle vivait à Paris, puis à l’hôtel des Muses, se disant que « c’est toujours ça de pris et que demain sera peut-être un nouveau jour de disette et de caniveau ».
Mais pour l’heure, elle se remplissait la panse sans pour autant s’étoffer le moins du monde et digérait en conséquence avec une lenteur et des rots gras devenus habituels. Ce soir, elle avait dû abuser de la fricassée de poireaux à la crème.
Ce qui lui laissait le temps, dans son lit pour elle toute seule !, de repenser à cette riche journée, aussi mémorable que les précédentes, même si elle n’avait aucune nouvelle de Géraud.
Après l’épisode des garçons arroseurs, elle avait reçu la visite de Jean-Charles du Cauzé. Il était survenu à point nommé pour la rasséréner, lui certifier, en témoin involontaire de la scène, qu’il n’y avait aucun risque de ce côté-là. Ils avaient devisé un long moment. Il lui avait donné des conseils, l’avait assurée, parole d’homme, qu’il veillait sur elle comme un ange gardien invisible et l’avait encouragée à profiter de tout, sans retenue. À la nuit tombée, il s’était retiré.
Lisa se leva, incertaine, jeta par la croisée un coup d’œil dans le jardin désert. Tout le monde était couché. La lune au visage grêlé de… pleine lune, pareille aux galettes de sarrasin que Catherine avait confectionnées un soir de la semaine passée – à cette comparaison, elle gloussa, ce qui occasionna du remue-ménage dans ses intérieurs ! –, la toisait bien en face, pendue au-dessus des cimes éméchées du jardin obscur.
Il lui fallait sortir d’urgence. Elle était en chemise, et si quelqu’un la surprenait… Plus le temps d’atermoyer, ses lâches viscères commandaient ! Souricette, elle trottina pieds nus par le couloir carrelé, l’allée de gravier et d’herbe jaunie jusqu’aux premiers buissons, au creux desquels, sans attendre, elle se libéra…
Elle ferma les yeux sur la douleur et peu à peu s’apaisa.
Un cliquetis de métal rouillé la figea dans cette
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