La campagne de Russie de 1812
décidera à abandonner l'armée de Barclay de
Tolly. « Je vous crois aussi capable que vos généraux,
lui avait-elle écrit, vous avez non seulement le rôle de
capitaine à jouer, mais encore celui de gouvernant. Qu'un
d'eux fasse mal, la punition et le blâme l'attendent. Faites
des fautes, tout retombe sur vous. La confiance détruite dans
celui de qui tout dépend et qui, seul [sera] arbitre des
destinées de l'Empire, doit être l'appui vers lequel
tous s'inclinent. La confiance détruite est un plus grand mal
que des provinces perdues. D'après votre caractère,
vous souffrirez plus d'une erreur que vous avez à vous
reprocher que mille autres... L'âme angoissée préoccupe
l'esprit... Damnez-moi, mais je ne puis vous mentir. Peut-être
ferais-je mieux de me taire. »
« J'ai
entrevu que vous vouliez me chasser de l'armée, répond
Alexandre à sa sœur. Je n'en suis pas moins touché
des sentiments plus qu'excitants qui vous animent. Que je serais
heureux si j'avais quelques êtres de plus comme vous ! Vos
idées font autant d'honneur à votre tête qu'à
votre patriotisme et à votre cœur. »
Pendant ce temps,
la Grande Armée poursuit sa progression et ses dévastations.
À la demande du tsar, Barclay jette aux avant-postes français
des tracts destinés aux soldats pour les inciter à
la désertion : « Retournez chez
vous, vous y oublierez les maux de conscription, de levée de
ban et d'arrière-ban, et toute cette tyrannie militaire qui ne
vous laisse pas un instant sortir de dessous le joug. »
– Mon frère
Alexandre, répond Napoléon lorsqu'on lui apporte l'un
de ces tracts, ne ménage plus rien. Je pourrais aussi appeler
ses paysans à la liberté.
Cependant,
l'abolition du servage dans les provinces « libérées »
n'est nullement dans les intentions de l'Empereur. Un seul but est
l'objet de toutes ses pensées : obtenir la signature de la
paix par le tsar et cela en s'avançant à marche forcée
et en livrant une bataille décisive.
– Le tsar a
été dupe de la force de son armée, constate
Napoléon, et il ne sait pas la diriger !
Semblant répondre
à l'Empereur, Alexandre quitte enfin Drissa et se dirige vers
Moscou où il est accueilli par l'évêque qui lui
prédit : « Dieu est avec toi. Par ta voix, il
commandera à la tempête, le calme reviendra, les vagues
du déluge s'apaiseront. » Et, huit jours plus tard,
le tsar gagnera Saint- Pétersbourg.
*****
Barclay de Tolly
a, lui aussi, abandonné le camp de Drissa et cette nouvelle
réjouit Napoléon. Assurément les troupes russes,
aussi bien celles de Barclay de Tolly que celles du prince Bagration,
devraient se réunir du côté de Smolensk ou de
Vitebsk – et l'on aurait alors la bataille décisive tant
désirée ! Ordre général : il faut se
hâter, toujours se hâter !
Napoléon
quitte Gloubokoje le soir du mardi 21 juillet : « Il pleut
beaucoup », écrit-il à Marie-Louise. Mais,
le vendredi suivant il précise : « Nous avons des
chaleurs et nous marchons toujours... » Et beaucoup trop
vite... car l'intendance demeure le plus souvent en route. Les
habitants continuent à fuir, les maisons sont désertes,
même de vivres. « Dans les villages et dans les
campagnes, nous dit la comtesse de Choiseul-Gouffier, fort bien
renseignée, le désordre était inouï. Les
églises pillées, les vases sacrés, même
les cimetières n'étaient pas respectés, les
malheureuses femmes outragées... »
Certes, on
fusillait les pillards, mais « ils allaient à
l'exécution avec une insouciance incroyable, la petite pipe à
la bouche. Que leur importait de mourir plus tôt ou plus tard
?... » On avait distribué aux soldats « un
pain mal pétri, mal cuit, une espèce de galette ; on
manquait de fourrage pour la cavalerie... »
Au début de
la campagne, il en était presque de même dans les deux
armées russes. Le corps de Miloradovitch avait été
privé de pain pendant cinq jours, et le moral des hommes était
au plus bas. Nombreux sont les officiers subalternes qui, dans les
deux armées, « passent leur temps en brigandages et
en maraudes ».
Pourtant, chaque
jour, on se bat. Les cosaques évitent le gros des forces et
harcèlent à la fois l'avant-garde et l'arrière-garde
de la Grande Armée. Une compagnie de voltiges français
se compose si héroïquement que l'Empereur demande à
quel corps l'unité appartenait.
– Au 9e et
les trois quarts enfants de Paris, lui répond-on
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