La campagne de Russie de 1812
avec stupeur par le gouvernement. Car le Prussien se
montrait d'un optimisme désarmant.
– Comment,
s'était exclamé le secrétaire d'État
Chichkov, perdre Vilna cinq jours après le début des
hostilités ? S'enfuir, laisser à l'ennemi tant de
villes et de terres, et se vanter malgré cela du bon début
de la campagne ?
Quelles sont
exactement, selon l'historien soviétique E. Tarlé, les
forces russes ? Sans parler de l'armée du Sud, qui a devant
elle les troupes autrichiennes de Schwarzenberg, l'armée
tsariste est forte de 178 000 hommes commandés par le ministre
Barclay de Tolly, et de 35 à 40 000
soldats sous les ordres du prince Bagration, soit 218 000 hommes au
grand maximum.
Cependant, en
reculant vers Smolensk, puis vers Moscou, les armées tsaristes
récupéreront plusieurs garnisons placées sur
leur route, ce qui compensera leurs lourdes pertes et permettra de
recouvrer 25 000 hommes ayant à leur tête Wittgenstein
et placés au nord du dispositif pour la défense
éventuelle de Saint-Pétersbourg. De ce fait, Napoléon
aura toujours en face de lui 218 000 combattants qui avaient été
postés à la frontière lors de l'invasion
française. Cette armée était dotée d'une
assez bonne artillerie composée de 6 600 pièces. Soit
17 canons par millier de soldats, alors que Napoléon n'en
possédait que 4 par millier d'hommes.
Le prince
Bagration et Barclay de Tolly se détestent franchement et ne
le cachent pas. Les soldats font bien plus qu'aimer le premier : ils
l'adorent. Jamais le prince ne lève la main sur eux –
une vieille habitude des généraux russes... Alexandre
aurait dû nommer le prince Bagration généralissime
des deux armées, d'autant plus qu'il était plus ancien
général que son rival, mais il admire le courage
témoigné par Barclay lors de la bataille d'Eylau. Le
général, grièvement blessé au bras droit,
avait été jeté à bas de son cheval. Ayant
perdu connaissance, il ne se réveilla qu'au poste de secours.
Un sergent, l'ayant relevé et placé en travers de sa
selle, l'avait conduit jusqu'à Memel où on lui retira
du bras sans, bien sûr, avoir été anesthésié
– quarante éclats d'obus. C'est en pensant à cet
acte de bravoure que le tsar l'avait nommé généralissime.
Bagration paraît
plus calme et même placide. En réalité il enrage
d'être dans l'impossibilité de se battre. Il fustige
l'attitude de son rival qui l'oblige à reculer tous les jours
et il se défend en ces termes : « Ce n'est pas ma
faute écrit-il au général Araktcheïev, on a
étiré mes troupes comme des boyaux. Lorsque l'ennemi
est entré chez nous sans coup férir, on s'est mis à
battre en retraite sans savoir pourquoi. Vous ne réussiriez à
prouver à personne dans l'armée et dans le pays que
nous n'avons pas été trahi. Je ne peux pas défendre
seul toute la Russie. La première armée aurait dû
marcher immédiatement sur Vilna, c'était
indispensable. » Et aujourd'hui que Napoléon se
dirigeait vers Vitebsk et Smolensk, les forcer russes semblent
pétrifiées. « De quoi a-t-on peur ? Poursuit
Bagration. Je suis encerclé, et je ne sais pas d'avance où
je percerai... Je vous prie de déclencher l'offensive,
autrement l'ennemi nous mettra dans de mauvais au draps... »
Bagration craint
même un soulèvement populaire : « Il ne faut
pas plaisanter non plus avec le pays... Les Russes ne devraient pas
fuir devant l'ennemi. Nous sommes devenus pires que les Prussiens...
C'est honteux ! Je suis angoissé, Dieu sait que je ne vis pas
pour moi-même, je serais heureux de tout faire, mais la
conscience et la justice manquent aux autres. Vous reculerez
toujours, et moi je serai contraint de me frayer un chemin en
combattant. Si ma physionomie ne leur revient pas, libérez-moi
du fardeau qui pèse sur mes épaules et nommez un autre
chef. Il est stupide de tourmenter les troupes sans raison ni
plaisir. »
Le prince
Bagration, répétons-le, met tout en œuvre pour ne
pas « tourmenter » ses hommes, alors que le
knout et le bâton sont de rigueur dans l'armée russe :
« Deux soldats assommés, un d'instruit »,
affirmait-on. De plus, selon Tarlé, « l'armée
était le théâtre d'une déprédation
effrénée : fraudes de l'intendance, grivèlerie
des fournisseurs, détournements de nombreux chefs qui
réduisaient la ration des soldats pour remplir leurs propres
poches. En général, l'existence du soldat était
si pénible que des cas de suicide
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