La campagne de Russie de 1812
foule
d'ordonnances, d'officiers d'état-major, de valets et de
bagages. Ils parcouraient tumultueusement la ville, cherchant les uns
des vivres, d'autres quelques-uns des logements : on se croisait, on
s'entrechoquait et, l'affluence augmentant à chaque instant,
ce fut bientôt comme un chaos. Ici des aides de camp, porteur
d'ordres pressés, cherchent vainement à se frayer un
passage. Les soldats restent sourds à leurs avertissements,
même à leurs ordres. De là, des querelles et des
clameurs se joignant aux roulements des tambours, aux jurements des
charretiers, au bruit des caissons et des canons, aux commandements
des officiers, même aux combats qui se livrent dans les maisons
dont les uns prétendent forcer l'entrée, et que
d'autres, déjà établis défendent
énergiquement.
*****
Enfin le dimanche
26 juillet l'année napoléonienne atteint les faubourgs
de Vitebsk, une ville comptant vingt mille habitants. Il fait nuit
lorsque Napoléon s'arrête en haut d'une colline : toute
l'armée russe de Barclay est présente et les feux de
ses bivouacs trouent l'obscurité. Finalement, on va se battre
! Dès le lendemain matin – lundi 27 juillet –
commencent des combats violents. Murat, toujours empanaché,
fonce vers l'ennemi en hurlant :
– Que les
plus braves me suivent !
« La
journée, raconte Caulaincourt, se passa en manœuvres,
canonnades et attaques de détail pour tâter et rectifier
les positions respectives et se préparer à cette grande
bataille que l'Empereur et le très grand nombre de Français
espéraient pour le lendemain. »
– Demain,
avait annoncé Napoléon, sera le soleil d'Austerlitz !
Mais Barclay a
appris que Bagration se dirigeait vers Smolensk ; il décide de
réunir leurs forces et, le soir venu, il préfère
se dérober une fois de plus et se fondre dans la nuit. « On
ne peut, nous dit encore Caulaincourt, se faire une idée du
désappointement général et celui de l'Empereur à
la pointe du jour quand on lui apprit la certitude que l'armée
russe avait disparu et abandonné Vitebsk... »
Le mardi 28
juillet, Napoléon fait son entrée dans cette jolie
ville située au cœur d'une vallée verdoyante
sillonnée par des ravines. L'Empereur souhaite vivement que
les Russes reviennent l'attaquer. Il espère surtout recevoir
des renseignements concernant la seconde armée du tsar.
– C'est
toujours pour moi un problème, soupire-t-il, de savoir si
Bagration a quatre ou six divisions.
« En
entrant à Vitebsk, a raconté le fameux chirurgien chef
de la Grande Armée, le baron Larrey, nous avions reconnu
plusieurs locaux propres à l'établissement des
hôpitaux. J'ai eu beaucoup de peine à assurer
sur-le-champ le premier pansement des blessés... Il y en avait
sept cent cinquante du côté français et à
peu près autant du côté russe. Il fallut se
servir du linge des soldats, et employer même leurs chemises.
Cent cinquante Russes des plus malades avaient été
oubliés ou abandonnés dans diverses maisons dont les
habitants s'étaient enfuis. Malgré les recherches que
je fis faire, je ne les découvris que le quatrième
jour. Il serait difficile de peindre le tableau que présentaient
ces infortunés, presque tous mutilés par les effets du
feu de l'artillerie. Nous les trouvâmes couchés sur de
la mauvaise paille, entassés les uns sur les autres, entourés
d'ordures et croupissants d'infections ; tous mouraient de faim. Chez
la plupart, la gangrène et la pourriture avaient frappé
de mort leurs membres lacérés par les boulets. Je
m'empressai d'abord de faire assurer la subsistance de ces malheureux
; ensuite, je les fis tous panser et je pratiquai chez plusieurs les
opérations les plus difficiles. Enfin, je les fis transporter
avec nos blessés dans les hôpitaux préparés
à cet usage où ils recevaient les mêmes secours
et soins que les Français. » Et Larrey
se livre à quarante-cinq amputations de bras ou de jambes...
Mais à
nouveau, le désordre et le pillage règnent.
L'intendance ne suit toujours pas ! Même le quartier général
est désorganisé, et pourtant Berthier fait ce qu'il
peut, mais il est absolument débordé.
– Je
donnerais un bras pour que vous soyez à Grosbois, s'exclame
l'Empereur assez injustement. Non seulement vous n'êtes bon à
rien, mais vous me nuisez !
Lorsqu'on fait le
point, on s'aperçoit que déjà cent cinquante
mille hommes ont disparu ! La tactique russe – volontaire ou
involontaire –
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