La campagne de Russie de 1812
fièrement.
– Dites-leur,
ordonne l'Empereur, que ce sont de braves gens. Ils méritent
tous la croix.
Les Prussiens –
comportement inattendu – luttent eux aussi avec ardeur. Ils
espèrent recevoir de Napoléon une province balte, qui
pourrait être bordée par la Baltique. Les Polonais,
embrigadés dans l'armée impériale, agissent de
même. Ils rêvent, après la victoire, de voir leur
patrie agrandie de la Lituanie, terre dont ils ont été
séparés il n'y a guère longtemps.
Et la progression
se poursuit...
Le comte Cesare de
Laugier de Bellecourt, officier dans le contingent italien, nous
rapporte sa rencontre avec l'Empereur : « à 6
heures, Napoléon sortit de sa tente et fut salué par la
Garde royale italienne avec les acclamations d'usage. Il était
sans chapeau, l'épée au flanc. On lui apporta un
escabeau sur lequel il s'installa. Son visage expressif respirait la
force et la santé. Il posa quelques questions aux deux
sentinelles qui veillaient à la sécurité de sa
tente. Ensuite, il se retourna vers un officier et lui demanda les
effectifs de son régiment, le nombre des disparus et des
malades. »
Et le dialogue
s'engage en langue italienne :
– Sire, nous
avons des compagnies qui n'ont pas encore perdu un seul homme, lui
répond officier.
– Ce
régiment ne s'est-il donc pas encore battu ?
– Non, Sire,
mais il le désire vivement.
– Je n'en
doute pas. Il s'est couvert de gloire en Espagne, en Dalmatie, en
Allemagne, partout où il est passé. Ah ! les vieux
soldats d'Austerlitz ! Les Italiens sont des braves ! Vous avez dans
vos annales de si belles choses... C'est le sang romain qui coule
dans vos veines, ne l'oubliez jamais.
*****
Au sud, commandant
l'aile droite de l'armée, Davout a plus de chance. À
Minsk, il a trouvé 800 000 litres d'avoine et 300 000 kilos de
paille. A Borissov, il pourra s'emparer de 120 000 kilos de poudre et
de 600 chevaux de trait... Le moral devient meilleur. Il n'en est pas
de même au centre du dispositif, celui commandé par
l'Empereur qui, avec un sentiment de malaise, poursuit sa route à
travers une terre hostile. Maintenant que l'on a quitté la
Lituanie, il est impossible de se procurer le moindre renseignement.
Ainsi que le
soupirait Caulaincourt : « On était comme un
vaisseau sans boussole, seuls au milieu d'un vaste océan, ne
sachant pas ce qui se passait autour de nous. » La faim,
la soif, tantôt la pluie, tantôt une chaleur étouffante,
se succèdent. La Grande Armée continue à fondre.
Les corps perdent de 25 à 50 pour cent de leurs effectifs !
Même la Garde – l'unité la moins éprouvée
– ne compte plus que 28 000 hommes sur 35 000 ! On verra tout
un régiment de la Jeune Garde, que l'on instruisait en
marchant depuis Paris, tomber d'épuisement sur la route.
Parfois, on
rencontre un soldat dont la veste est retournée. Il s'agissait
d'une punition qui lui avait été infligée. Si
l'on devait punir tout un régiment, celui-ci défilait,
la crosse des fusils dirigée vers le ciel...
Maintenant, en
reculant, l'armée moscovite trouve tout avec abondance, mais,
nous dit le comte Soltyk, elle détruit sur son passage les
ressources dont les Français auraient pu s'emparer. Et, à
nouveau, il faut envoyer, souvent fort loin, des détachements
chargés de découvrir vivres et fourrage. Cette dernière
opération est d'ailleurs prévue par le règlement,
puisque les cavaliers doivent être munis d'une faucille et que
chaque escadron est dans l'obligation de posséder une faux par
vingt hommes.
Certains
combattants ont le droit de reprocher à l'Empereur que l'armée
se soit trouvée dans « la cruelle nécessité »
de s'occuper elle-même de sa subsistance après une
longue marche ou un dur combat. L'Empereur avait-il oublié son
aphorisme : « Une armée marche avec son estomac »
?
Ne vaudrait-il pas
mieux arrêter l'avance sur Moscou, ou même franchement
« rétrograder » ? Mais Napoléon,
victime de son goût du gigantisme, ne veut rien entendre et la
Grande Armée atteint le village de Nostrovono peu avant
Vitebsk : « Le plus grand désordre y régnait,
relate le comte de Ségur en un tableau pittoresque. De
nombreuses colonnes de cavalerie, d'infanterie, d'artillerie s'y
présentaient de tous côtés ; ils se disputaient
le passage. Chacun, irrité par la fatigue et par la faim,
était impatient d'arriver à destination. En même
temps, les rues étaient obstruées par une
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