La campagne de Russie de 1812
important carrefour qui est, au surplus,
le sanctuaire de la Vierge miraculeuse ! Et les mêmes scènes
vont recommencer. Pour les Russes, il s'agit d'une véritable
guerre sainte. Les paysans continuent à brûler leurs
récoltes et leurs chaumières. Il faut envoyer des
détachements mobiles – de vrais commandos – piller
les villages bien loin hors de la grand-route. Voici une image
pittoresque : « Pour mieux faire leurs courses, la plupart
s'étaient procuré des petits chevaux russes dont ils
avaient fait leurs montures et qui leur servaient en même temps
de chevaux de somme, car ils n'avaient pu trouver de voitures.
Lorsque, le soir, on approchait de la place du bivouac, on voyait
affluer de tous côtés ces cavaliers envoyés à
la recherche de vivres et, au lieu d'accompagner à pied leurs
chevaux chargés de vivres, ils étaient le plus souvent
perchés sur le bagage même. »
Certains de ces
commandos désertent, se réunissent en groupes et
choisissent un chef. Ils seront condamnés à mort si les
régiment les récupère. Ils s'en moquent bien !
– Nous
aimons mieux mourir par la fusillade que par la faim, déclarent-ils.
Quant aux soldats
demeurés sous les drapeaux, point d'autre solution pour eux
que de devenir à leur tour maraudeurs, mais ils rentrent le
plus souvent bredouilles de leurs randonnées. « Pendant
plus de quatre mois, raconte dans son texte inédit
l'ex-caporal Corniquet, devenu sergent, nous mettions quatre poignées
de farine noire dans une marmite d'eau et nous mangions cette colle
presque toujours sans sel. Nous fûmes bientôt, depuis
l'Officier jusqu'au soldat, atteints d'une maladie très
incommode qui est la dysenterie... J'étais obligé de
m'aider de la crosse de mon fusil pour pouvoir marcher... »
Certains régiments, plus heureux – tels ceux de la garde
– « font la soupe » en dépeçant
les rares troupeaux de bœufs et de vaches qui suivent
péniblement certaines unités, mais les bêtes sont
d'une maigreur extrême...
Bien des Russes
souffrent tout autant que les combattants de la Grande Armée.
Le frère de Joseph de Maistre a chevauché durant
vingt-quatre heures sans boire, sans manger ni dormir ! Cependant,
d'autres ont eu plus de chance. Ainsi le baron de Löwenstern,
Allemand au service de la Russie, est invité un soir à
dîner chez le colonel Potemkine. Les mets sont délicieux,
le dessert complet et « le tout servi sur de la porcelaine
et de la vaisselle plate ». D'excellents vins égaient
tellement les convives « que nous oubliâmes les
fatigues de la journée ».
Le tsar est
optimiste car la Turquie vient de signer la paix avec la Russie, et
Bernadotte, le 7 juillet, en parlant de Napoléon, s'est
exclamé :
– Cet homme
a régné trop longtemps et règne en tyran sur les
nations ! Il y a trop longtemps que je meurs à coups d'épingle
!
Le mari de Désirée
Clary, l'ex-fiancée de Bonaparte, s'apprête à
rejoindre le tsar pour s'unir avec Alexandre et lui promettre
d'attaquer les troupes françaises demeurées en
Allemagne.
*****
Ney s'empare de
Krasnoé et, le samedi 15 août, se dirige vers Smolensk
que Napoléon décide d'atteindre par la rive gauche du
Dniepr. Parallèlement, Davout, à droite du dispositif
napoléonien, marche lui aussi vers Smolensk, talonnant l'armée
de Bagration.
Mais Davout a beau
se presser, il laissera échapper Bagration. Les deux armées
tsaristes n'ont plus à leur droite – à la gauche
française – que les forces du maréchal Oudinot.
Celui-ci ne parvient pas à battre le corps d'armée du
prince Wittgenstein. De ce fait, le chemin de Saint-Pétersbourg
semble fermé pour les troupes françaises.
L'avant-garde
russe est commandée par le général Koulnev, un
homme entreprenant, mais par trop adonné à la vodka.
« Pendant les combats, dira l'un de ses compagnons, le
lieutenant Antonivski, il portait la tunique de soldat et au sein de
son régiment il ne se distinguait des autres que par la croix
d'officier de Saint-Georges, décoration qu'il préférait
à toutes les autres. S'il faisait trop chaud, en cours de
marche, il enlevait même son dolman et galopait revêtu
uniquement de sa culotte et d'une chemise russe de couleur rouge,
mais toujours décoré de la croix de Saint-Georges.
Mortellement blessé, il resta vivant un certain temps.
Lorsqu'il sentit les approches de la mort, il enleva ses décorations
et donna l'ordre de les abandonner là où le destin lui
envoyait
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