La campagne de Russie de 1812
soir venu, les
Russes croient en la victoire, mais, à l'aube, Barclay n'en
donnera pas moins à ses troupes l'ordre de reprendre leur
retraite. Et cela, en dépit de Bagration qui a rejoint le gros
de l'armée et veut en découdre.
– Je suis
obligé, proteste Bagration, de demander à Votre
Excellence de ne pas se retirer de Smolensk et d'essayer à
tout prix de conserver notre position. Votre retraite de Smolensk ne
pourrait que nous porter préjudice et être funeste à
l'empereur et à la patrie.
Mais Barclay
maintient sa décision.
– On m'a
souvent accusé d'avoir fait évacuer la ville,
expliquera-t-il plus tard. Le destin de l'Empire dépendait de
la conservation de l'armée qui m'était confiée,
tant qu'il n'y en avait pas d'autre pour la remplacer. N'aurais-je
pas trahi ma patrie en me laissant guider par le désir de la
gloire ?... Je ne sais pas ce qui serait arrivé de nos forces
ayant derrière elles les rives abruptes du Dniepr et une ville
en flammes.
L'euphorie entre
les deux chefs n'existe plus. Bagration ne décolère pas
: « J'ai honte de porter l'uniforme, ma foi, j'en crève
! écrit-il en français à son ami Ermolov, chef
d'état-major de Barclay. On nous a amenés à la
frontière, puis on nous a éparpillés, en nous
fichant un peu partout comme des pions, puis on est resté là,
bouche bée, et ayant emm... toute la frontière. On
s'est mis à fuir. J'avoue que cela me dégoûte
tellement que j'en deviens fou. Dieu te garde, quant à moi, je
vais troquer l'uniforme contre une blouse de paysan ! »
Avant de
décrocher, dans la nuit du 17 au 18 août, les Russes ont
emporté avec eux l'icône de Notre-Dame-de-Smolensk.
L'avant-garde française les poursuit, mais parfois les soldats
du tsar se retournent brusquement et sur prennent
les Français par la violence de
leur feu. Enfin les canons s'apaisent et le silence devient
impressionnant : un silence de mort.
Napoléon
s'est endormi au château de Loubinia. On vient le réveiller
: Smolensk brûle. Barclay en se retirant a donné l'ordre
à son arrière-garde d'incendier la ville afin de
protéger sa nouvelle dérobade. Caulaincourt s'est
assoupi au bivouac de l'Empereur. Il est réveillé à
2 heures du matin par Napoléon venu voir la cité qui,
rapidement, n'est plus qu'une vaste flamme tourbillonnante, dévorant
Smolensk « avec un sinistre bruissement ».
– C'est une
éruption du Vésuve ! s'écrie l'Empereur.
N'est-ce pas que c'est un beau spectacle, monsieur le Grand Écuyer
?
– Horrible,
Sire.
– Bah !
rappelez-vous, messieurs, ce mot d'un empereur romain : « Le
corps d'un ennemi mort sent toujours bon !
Un peu plus tard,
Caulaincourt l'entendra prédire :
– Dans un
mois, nous serons à Moscou, et dans six semaines nous aurons
la paix.
Le mardi 18, à
4 heures du matin – la chaleur ce jour-là est devenue
fournaise – musique en tête, la Grande Armée entre
dans Smolensk aux trois quarts brûlée et dont les rues
offrent « un spectacle hideux ». Les maisons
que les flammes ont épargnées sont livrées au
pillage. Les Français, les Belges et les Hollandais sont les
plus raisonnables. Partout des cadavres d'hommes, de chevaux et de
bestiaux ont été rongés par une quantité
de chiens errants. Çà et là, des corps déjà
en putréfaction. Les chirurgiens travaillent ferme et l'on
croise des chariots remplis de membres détachés de
corps humains que l'on déverse dans des fosses communes.
Survivants et malades remplissent la cathédrale. « Des
familles entières, couvertes de haillons, les larmes aux yeux,
la figure exprimant la terreur, exténuées, affaiblies,
affamées, se pressent sur les dalles entourant les autels... »
Un jeune Russe, de
forme athlétique, a reçu un coup de feu à
travers la poitrine et va mourir. Quelques minutes avant d'expirer,
il s'adresse aux médecins français qui l'entourent :
– Vous êtes
de braves gens, vous, et votre tsar doit être un bien méchant
homme. Que lui a fait le nôtre ? Que vient-il demander à
notre patrie ? Lève-toi, tsar de toutes les Russies,
défends-toi, défends notre religion, notre tsar...
Ce furent ses
dernières paroles.
« Déjà
tout manque pour panser les blessés, constate Ségur ;
il n'y a plus de linge, on est forcé d'y suppléer par
le papier trouvé dans les archives. Ce sont des parchemins qui
servent d'attelles... et ce n'est qu'avec de l'étoupe et du
coton de bouleau qu'on peut remplacer la
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