La campagne de Russie de 1812
Conduisez-vous comme à Austerlitz, à
Friedland, à Vitebsk, à Smolensk, et que la postérité
la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette
journée ; que l'on dise de vous : il était à
cette grande bataille sous les murs de Moscou ! »
Les combattants
poussent alors de longs cris de « Vive l'Empereur ! ».
Au même
instant, on lit « à ceux d'en face » les
paroles que Koutouzov adresse à ses hommes : « Soldats,
faites votre devoir. Pensez au sacrifice de vos villes en flammes, de
vos enfants qui implorent votre protection. Pensez à votre
souverain qui voit en vous la source de sa puissance, et demain,
avant le coucher du soleil, vous aurez marqué votre foi et
votre fidélité au monarque et au pays par le sang de
l'agresseur ! »
« Le
soleil du 7 septembre retrouve les deux armées, a raconté
le comte de Ségur, et les montre l'une à l'autre sur le
même terrain où la veille il les a laissées. Ce
fut une joie générale. Enfin cette guerre vague, molle,
mouvante, où nos efforts s'amortissaient, dans laquelle nous
enfoncions sans mesure, s'arrêtait ! On touchait au fond, au
terme ! Et tout allait être décidé. »
Un brouillard
épais enveloppe encore le champ de bataille. Napoléon a
sauté à cheval – un cheval allemand baptisé
Lutzelberg – et se rend à la redoute conquise
l'avant-veille. Deux autres chevaux – l'Émir et le
Courtois – seront montés par lui au cours de cette
terrible journée, mais il ne quittera cependant guère
sa position de Schwardino – de même que Koutouzov
demeurera toute la journée assis sur sa causette placée
en haut de la butte de Gorki. À 5 heures et demie, l'Empereur
s'avance un peu au-delà de la redoute de Schwardino et
s'assied sur le gazon, à l'emplacement même où
sera élevé, en 1912, le monument français du
centenaire de la Grande Bataille : un aigle perché sur une
colonne commémorative. Le champ de bataille est d'ailleurs
truffé de petits monuments rappelant que le sang a coulé
ici même d'une atroce façon en 1812 et qu'il devait
encore couler en octobre et en novembre 1941, lors de l'avance
allemande vers Moscou.
Napoléon,
l'œil vissé à sa longue-vue, regarde un terrain
qui se déploie, coupé de bouleaux et de boqueteaux. À
droite, l'horizon est fermé par les Trois Flèches.
L'emplacement choisi n'est guère excellent : un petit bois –
il sera le soir écrêté par les boulets –
empêche l'Empereur de voir le sommet de la Grande Redoute,
ainsi que la droite de l'armée russe.
L'ennemi est à
quinze cents mètres. La Vieille Garde commandée par
Lefebvre, se range en carré derrière l'Empereur, la
Jeune Garde et la cavalerie de la Garde se trouvent massées
non loin, un peu en retrait de la redoute de Shwardino. Ils attendent
l'arme au pied, et ont revêtu leur grande tenue sortie de leur
sac.
Les officiers se
sont vêtus comme s'ils se rendaient à un bal aux
Tuileries. Murat caracole sur le front de la cavalerie, habillé
de l'un de ces uniformes dont il a le secret : « Un grand
chapeau bordé d'un large galon d'or à plumet blanc
surmonté d'une aigrette blanche, très haute, entourée
d'autres panaches, cheveux longs bouclés, pelisse verte de
velours brodé d'or ; dessous, une tunique bleu de ciel,
également brodée d'or à larges brandebourgs –
il la porte souvent sans sa pelisse –, un pantalon cramoisi à
la polonaise galonné d'or, des bottes jaunes. » Tel
est son éclatant accoutrement pour n'être pas aperçu...
Et brusquement le
soleil du lundi 7 septembre 1812 dissipe le brouillard.
– Voilà
le soleil d'Austerlitz ! s'écrie Napoléon.
Mais, nous dit
Ségur, « il se levait du côté des
Russes, nous montrait à leurs coups et nous éblouissait ».
On s'aperçoit alors que, dans l'obscurité, les
batteries placées devant Schwardino ont été
installées de telle façon que leur tir ne pourra
atteindre la Grande Redoute. Il faut les pousser plus avant !
L'ennemi laisse faire : il semble hésiter à rompre, le
premier, le terrible silence !
Enfin l'Empereur
fait un geste : non loin de lui, une pièce de l'artillerie de
la Garde tonne. C'est le signal ! L'effroyable tuerie de Borodino, le
massacre de la Moskova est commencé – et, comme le dira
Wellington : « Il est tout aussi impossible de décrire
une bataille que de décrire un bal... »
Et, jusqu'à
la nuit, douze cents pièces vont semer le feu, le fer et la
mort. Eugène est gêné par le
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