La campagne de Russie de 1812
officier en montrant les mêmes
places.
Alors, un jeune
officier s'avance et explique à l'Empereur que « ce
détachement était le reste de trois bataillons, le
surplus ayant été mis hors de combat comme il pouvait
le voir ».
Peut-on appeler
une telle boucherie une victoire ?
L'incendie de Moscou
Maintenant, c'est
au tour de Koutouzov de se poser la question : que faire ? Avec
quarante-cinq mille hommes, la moitié de ce qu'il possédait
la veille, est-il encore possible de reprendre le combat ?
En pleine nuit, il
charge le prince Alexandre Galitzine, son officier d'ordonnance,
accompagné du colonel Toll, de parcourir les positions russes
« où nos guerriers fatigués dormaient d'un
sommeil de mort ». En regagnant Taratinovo, où
Koutouzov a passé la nuit, le prince et le colonel font leur
rapport : il ne pouvait être question « de passer à
l'attaque ni même de défendre, avec 45 000 hommes, les
positions défendues la veille par 103 000 combattants ».
En effet, les pertes russes se montent à 58 000 tués et
blessés graves ! Les chiffres que l'on communique au
généralissime sont angoissants. Sur les 1 300 soldats
d'un seul régiment, il ne reste que 96 hommes et 3 officiers !
Dans certains bataillons, il ne demeure que 2 ou 3 survivants.
De plus les Russes
n'ignorent pas que chez l'ennemi, un corps entier – et le plus
redoutable, puisqu'il s'agit de la Garde de Napoléon –
est intact. Aussi Koutouzov prend-il la décision – et il
l'annonce au tsar – d'effectuer un repli de six ou sept
kilomètres. De ce fait, l'armée tsariste quitte le
champ de bataille et se replie sur Mojaïsk, ou elle demeurera
que peu d'heures. Le maréchal prince ordonne, en effet, le
repli vers Moscou, à la fureur de Barclay de Tolly dont le
cœur est « étreint par le chagrin ».
Le premier rapport
envoyé à Saint-Pétersbourg semble fort
optimiste. Koutouzov, rappelons-le, n'avait-il écrit à
sa femme : « J'ai gagné la bataille » ?
Aussi, le 10 septembre, après une nuit blanche passée
dans l'angoisse, Alexandre peut-il lire avec joie le premier rapport
de Koutouzov et croit en la victoire. Il fait même lire un
texte en chaire et le fait suivre d'un Te Deum chanté
au monastère de Saint-Alexandre-Nevski. Puis il élève
Koutouzov à la dignité de feld-maréchal et son
épouse reçoit une haute distinction, celle de « dame
à portrait ». Désormais, elle pourra donc
arborer fièrement sur sa poitrine lors des cérémonies
de la cour, une miniature du tsar entourée de diamants.
Alexandre fait en outre verser au vainqueur cent mille roubles. Il
donne également cent mille roubles au prince Bagration qui est
mourant. Chaque combattant survivant de Borodino recevra la somme de
cinq roubles.
Mais, deux jours
plus tard, le tsar reçoit la nouvelle du repli de l'armée
vers Moscou. Alexandre espère encore que Koutouzov a
l'intention de livrer une nouvelle bataille devant la capitale. Il
lui semble en effet impensable que l'ancienne et vieille capitale ne
soit pas défendue.
Tandis que l'armée
tsariste rétrograde, les forces françaises entrent, le
soir du mardi 8 septembre, dans Mojaïsk. Certains jeunes
conscrits de la Jeune Garde se livrent à une telle orgie de
vodka, racontera Napoléon à Sainte-Hélène,
qu'ils tomberont ivres morts, « sans proférer une
seule plainte ». L'Empereur loge à deux pas de la
grand-place, dans la principale maison de la ville, une maison
construite en bois. Napoléon compte s'y reposer deux ou trois
jours, afin de museler son rhume devenu maintenant une vraie
laryngite, et de rassembler ses régiments.
Nombreux sont les
blessés français qui ont été mis à
l'abbaye de Kolskoï. Un véritable « entassement »,
selon un témoin. Aussi les moins atteints sont-ils transportés
dans les maisons de Mojaïsk, où, nous dit le lieutenant
Chevalier, « on leur fit dire que l'on pansait leurs
blessures avec tous les soins possibles, mais qu'on ne pouvait
répondre de pouvoir les nourrir, manquant de pain ».
Et le major Soltyk renchérit : « Dans les chambres
gisent des membres amputés. On ne s'est pas donné la
peine d'ôter les chaussures des jambes nouvellement détachées
des troncs. Je vis moi-même dans une de ces maisons un galetas
qui renfermait un monceau de pieds et de bras coupés. Jamais
spectacle plus affreux ne s'était présenté à
ma vue. » Nous voulons bien le croire...
Que faire
maintenant ? Perpétuelle question !
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