La campagne de Russie de 1812
Rester à Mojaïsk
en espérant que le tsar, afin de sauver Moscou, accepterait de
négocier ? D'ailleurs, hors peut-être la Lituanie
destinée à la Pologne, Napoléon ne demanderait
probablement aucun territoire au tsar. S'emparer de Moscou, y rester
seulement une semaine, puis reprendre le chemin de Smolensk ? Et au
printemps, on marcherait sur Saint-Pétersbourg ?
En fait,
l'Empereur n'hésite pas vraiment. L'occupation de Moscou reste
indispensable à la légende que Napoléon tisse
avec science depuis le pont d'Arcole...
Après trois
jours de repos, il ordonne à la Grande Armée de
reprendre la direction de Moscou. L'Empereur quitte Mojaïsk le
samedi 12 septembre en voiture. Mais semble soucieux ; il est sans
nouvelles du prince Poniatowski qui forme la droite de l'armée.
Murat, à la tête de l'avant-garde, s'était
installé après la bataille au beau château de
Wezianino, appartenant au prince Galitzine, à vingt-cinq
kilomètres au-delà de Mojaïsk. Il reçoit
l'ordre d'aller talonner l'arrière-garde de Koutouzov qui,
« encombrée de blessés et de bagages , s'est
dirigée vers Moscou.
Et la marche
reprend.
Le dimanche 13
septembre, l'Empereur succède à Murat au château
de Wezianino près de Malo-Wiasma. Va-t-on se battre devant les
murs de Moscou ? Bien que de l'avis général, l'armée
russe soit « hors d'état de tenir la campagne ».
À Moscou,
sitôt connue la « victoire » de Borodino,
le gouverneur comte Rostopchine 12 a fait célébrer un Te Deum à la
cathédrale Ouspenski du Kremlin. Puis des dépêches
de Koutouzov avaient appelé à l'aide, demandant l'envoi
de chevaux et de voitures destinés à faire évacuer
des blessés sur Moscou – et l'on avait deviné
l'ampleur de la tuerie.
Koutouzov a décidé
de prendre position aux portes de Moscou. Au hameau de Fili, le
maréchal s'est installé dans l'isba enfumée du
paysan Sevastianov 13 .
Le soir tombe. Une lampe rouge, placée devant l'icône,
éclaire faiblement la pièce. Les généraux
Barclay de Tolly, quelque peu agité, Bennigsen, le gros
Dokhtourov, Platov et Ouvarov l'entourent, ainsi que le colonel Toll.
– Faut-il
accepter une nouvelle bataille devant Moscou, leur demande tout
d'abord le maréchal, ou bien faut-il se retirer derrière
cette ville ?
Bennigsen répond
le premier à Koutouzov : on doit sauver à la fois
l'armée et Moscou en attaquant l'ennemi. La chose lui semble
faisable et il en fournit les raisons d'ailleurs guère
optimistes :
– Napoléon,
explique-t-il, a donné l'ordre au vice-roi de Naples de nous
contourner à droite et de diriger un autre corps pour
contourner notre gauche. Ses forces sont très affaiblies. Des
milliers de maraudeurs sèment le désordre dans son
armée. Si nous fonçons sur lui, il sera inévitablement
battu et les deux corps dirigés contre nos ailes seront
coupés. Si vous n'acceptez pas mon opinion, je vous propose de
concentrer toutes nos forces vers la gauche et de nous installer à
côté des routes de Smolensk et de Kalouga, ayant les
monts des Moineaux derrière nous. Là nous attendrons
l'ennemi.
Barclay de Tolly
n'est pas de cet avis :
– Si nous
avions l'intention d'attaquer, il fallait le faire plus tôt. Il
ne faut pas se rapprocher de Moscou, car nous serons perdus si par
malheur nous devions reculer à travers la ville. Si l'on doit
se replier, pourquoi ne pas se diriger plutôt vers la Volga ?
– Elle
traverse les provinces les plus fertiles et nourrit la Russie.
– Il ne
s'agit pas de penser actuellement aux régions qui nourrissent
la Russie, fait observer Koutouzov, mais de celles qui nourriront
l'armée : c'est pourquoi il faut nous diriger vers les
provinces méridionales.
Quel sera
l'itinéraire de ce nouveau repli ? Selon le colonel Toll, il
fallait éviter de traverser la ville. Ne pourrait-on passer
par le mont des Moineaux et s'engager ensuite sur une route parallèle
à celle de Kalouga ? Koutouzov tranche enfin la question en
prononçant lentement ces mots en français :
– Vous
craignez la retraite par Moscou et moi je la considère comme
une providence car elle sauve l'armée. Napoléon est
comme un torrent que nous ne pouvons pas encore arrêter ;
Moscou sera l'éponge qui l'absorbera.
Un lourd silence
s'appesantit sur l'isba, et le maréchal conclut :
– Quoi qu'il
arrive, j'en prends sur moi la responsabilité devant
l'empereur, la patrie et l'armée.
Il fallait à
présent prévenir le tsar qui,
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