La campagne de Russie de 1812
Koutouzov, le gouverner Rostopchine veut lui parler, mais
le généralissime se refuse à lui répondre.
Pour lui, Rostopchine est une quantité négligeable. Il
donne simplement l'ordre de dégager le pont pour le passage de
ses troupes.
Au moment
d'éperonner son cheval pour se lancer sur la route de Riazan,
Rostopchine crie à son fils Serge, qui vient de se battre à
Borodino :
– Salue
Moscou ! Dans une heure, elle sera en flammes !
L'arrière-garde
russe, commandée par le général Miloradovitch,
est talonnée par l'avant-garde de Murat, si talonnée
qu'il envoie au roi de Naples un parlementaire porteur d'une note lui
proposant un armistice de quelques heures. La note du général
russe précisait également que neuf mille blessés
et malades étaient abandonnés à Moscou et
confiés aux généreux soins de l'armée
française.
« Ayant
passé devant cinq régiments de cavalerie, disposés
en échiquier, et devant des colonnes d'infanterie, a raconté
le colonel envoyé par Miloradovitch, j'aperçus Murat en
superbe uniforme et entouré d'une suite brillante. Dès
mon approche, il souleva son chapeau d'or surmonté d'un
panache. Sa suite m'entoura ; il donna d'une voix de stentor l'ordre
de nous laisser seuls. Ayant mis sa main sur le collet de mon cheval,
il me demanda : « Monsieur le colonel, qu'allez-vous me
dire ? ». L'officier précise alors sa mission :
– Il est
inutile, répond Murat, de confier des malades et des blessés
à la générosité de l'armée
française : pour les français, leurs prisonniers ne
sont plus des ennemis.
Mais il y avait
encore autre chose.
– Le général
Miloradovitch, poursuit le colonel, est convaincu que le roi de
Naples préférerait occuper la capitale de ses
adversaires dans un état intact, aussi demande-t-il que l'on
n'inquiète pas notre arrière-garde. Qu'il veuille bien
nous laisser passer, sinon il combattra jusqu'au dernier homme et ne
laissera pas pierre sur pierre.
Il faudrait donc
que le roi donnât l'ordre d'arrêter la colonne française
prête à entrer dans Moscou... Murat répond tout
d'abord qu'il ne peut rien décider sans son beau-frère
Napoléon, puis il se ravise :
– Je prends
sur moi d'accepter la proposition du général
Miloradovitch. J'avancerai aussi lentement que vous le désirez,
à condition que Moscou puisse être occupée ce
jour même.
« Pendant
que ces questions d'humanité se réglaient, nous
rapporte M. de Bausset, les cosaques, qui avaient vu le roi de Naples
toujours habillé d'une façon remarquable exposé
le premier à la tête de l'avant-garde, s'approchèrent
de lui avec un respect mêlé d'admiration et de plaisir.
Ce prince était le seul de toute l'armée qui portât
sur son chapeau un grand panache de plumes blanches et qui fût
vêtu d'une espèce de tunique polonaise de lin gris
bordée de martre et de zibeline. Le roi leur donna tout
l'argent qu'il avait sur lui même sa montre, et, quand il eut
distribué tout ce qu'il portait, il emprunta au colonel
Gourmand, à ses aides de camp et à ses officiers les
montres qu'ils possédaient. »
Étrange
entrée de l'avant-garde française : celle-ci talonne
des soldats russes fatigués, des traîneurs à pied
et à cheval, des fourgons de bagages restés en arrière
et des bœufs destinés à la boucherie. Les
Français constatent également que la plus grande partie
de la population de Moscou est en train de fuir devant la Grande
Armée, comme autrefois leurs pères devant les Tartares
: « C'était, nous dit le comte de Ségur,
comme le chant de mort de cette vaste cité... On voit
s'avancer des multitudes immenses d'hommes et de femmes désolés,
emportant leurs biens, leurs saintes images et traînant leurs
enfants après eux. Leurs prêtres, tous chargés
des signes sacrés de la religion, les précédaient.
Ils invoquaient le ciel par des hymnes de douleur que tous répétaient
en pleurant. Des foules infortunées, parvenues aux portes de
la ville, les dépassèrent avec une douloureuse
hésitation ; leurs regards, se détournant encore vers
Moscou, semblaient dire un dernier adieu à leur ville sainte.
Mais, peu à peu, leurs chants lugubres et leurs sanglots se
perdirent dans les vastes plaines qui l'environnent. Ainsi fuyaient
en détail ou par masses ces populations, et les routes étaient
couvertes, pendant quarante lieues, de fugitifs à pied et de
plusieurs files, non interrompues, de voitures de toutes
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