La campagne de Russie de 1812
consterné et
baisser la tête. Le voici accablé : son armée est
victorieuse et lui vaincu ! Sa route semble coupée, sa
manœuvre déjouée. Koutouzov, un vieillard, un
Scythe, l'a prévenu ! Et il ne peut accuser son étoile
!... Hier encore la route au-delà de Malo-Iaroslavetz
n'était-elle pas libre ? Sa fortune ne lui a donc pas manqué
! Est-ce lui qui a manqué à sa fortune ? Il se met au
lit, mais « une brûlante insomnie le travaille »...
La bataille dite
« de Kalouga », pour la prise de
Malo-Iaroslavetz, n'en commence pas moins ce même samedi 24
octobre sous les ordres d'Eugène de Beauharnais. Bien vite,
une mêlée affreuse s'engage au milieu des flammes qui
dévorent les bâtiments. Le général
Delzons, un ancien combattant de Rivoli, veut foncer avec sa
division, mais ses soldats hésitent. Qu'importe ! Il s'avance
seul, encourageant ses troupes du geste et de la voix. Mais une balle
le frappe au front. « On vit alors son frère se
jeter sur lui, nous dit le comte de Ségur, le couvrir de son
corps, le serrer dans ses bras, et vouloir l'arracher du feu et de la
mêlée, mais une seconde balle l'atteint lui-même
et tous deux expirent ensemble... »
La bataille
reprend. Dix-huit mille Italiens et Français ont vaincu
cinquante mille Russes, mais sept généraux sont tombés.
La petite cité n'est plus qu'une ruine, couverte d'un amas de
cendres et d'une multitude de cadavres.
Sir Robert Wilson,
le représentant de l'Angleterre, critique fortement Koutouzov
qui, pendant la bataille, a refusé d'envoyer le moindre
renfort aux combattants : « Il a fait constamment la
sourde oreille à tous messagers, à toutes invites, se
plaint-il auprès du tsar, en excusant le délai par
l'absence des fourrages et par d'autres prétextes futiles... »
Ce soir-là, le prince Koutouzov couche avec tous les officiers
de son quartier général en plein champ et à la
belle étoile ; car « il fait chaud comme au cœur
de l'été » précise Löwenstern.
Maintenant,
Napoléon hésite et ne parvient pas à trouver le
sommeil. Faut-il poursuivre ? Faut-il essayer de s'emparer de la
position « inattaquable », selon l'expression
de Bessières qui, au-delà de Malo-Iaroslavetz,
verrouille la route de Kalouga ? Pour la première fois,
l'Empereur se sent battu avant de combattre. Prenant prétexte
que le malheureux général Delzons a voulu faire manger
ses hommes avant la bataille et que sa brigade est arrivée
tardivement sur le terrain, il s'exclame, cherchant un bouc émissaire
:
– Voilà
ce que c'est que d'arriver une heure trop tard !
Puis il se tourne
vers Caulaincourt :
– Cela
devient grave. Je bats toujours les Russes, mais cela ne termine
rien.
Après un
quart d'heure de silence et de va-et-vient dans la misérable
cabane de Gorodnia, l'Empereur poursuit :
– Je vais
m'assurer moi-même si l'ennemi est en position ou en retraite,
comme tout l'annonce. Ce diable de Koutouzov ne refusera pas la
bataille. Faites avancer mes chevaux. Partons !
Il est 4 heures du
matin lorsque Napoléon monte à cheval en dépit
de l'avis de son officier d'ordonnance, le prince d'Arenberg, qui lui
signale la présence de nombreux cosaques entre les
avant-postes russes et le quartier général français.
Le soleil du
dimanche 25 octobre commence à se deviner à travers un
épais brouillard. L'Empereur galope, suivi seulement de
quelques officiers, ce qui est contraire au règlement 18 .
Soudain, un cri monte : Aux armes ! Six mille cosaques,
commandés par le fameux hetman Platov, attaquent ! Comment ne
s'était-on pas aperçu de leur présence ? Il est
certain, comme l'a remarqué Caulaincourt, « que si
les soldats français se battent bien, ils se gardent mal ».
Les avant-gardes
ennemis entourent déjà Napoléon : « Nous
ne fûmes avertis que par leurs cris et nous étions mêlés
avec quelques-uns d'entre eux avant de les avoir distingués. »
– Arrêtez,
Sire, crie Rapp, ce sont les cosaques !
– Cela n'est
pas possible ! s'exclame l'Empereur.
À cet
instant, les cavaliers ennemis foncent vers le petit groupe en
hurlant. Le général Rapp saisit le cheval de Napoléon
par la bride et répète :
– Ce sont
les cosaques, Sire, hâtez-vous !
– Ce sont
bien eux, précise Berthier.
– Prends les
chasseurs du piquet, ordonne alors l'Empereur à Rapp, et
porte-toi en avant.
Les chasseurs ne
sont qu'une douzaine... Mais, bientôt, les escadrons de service
de la
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