La campagne de Russie de 1812
cinq verstes en arrière pendant
l'action et d'avoir interdit de faire partir un seul homme
à son secours. « Sa poltronnerie passe déjà
la permission d'être poltron, écrit-il. À
Borodino déjà, il en a donné la plus grande
preuve ; aussi il s'est couvert de mépris et de ridicule dans
toute l'armée... » Mais Koutouzov désire
avant tout protéger la vie de ses hommes et, nous l'avons dit,
attend l'arrivée du général Hiver. « Il
est impossible que je puisse rester longtemps à l'armée »,
a encore annoncé Bennigsen. Et il n'est pas le seul ! En
effet, Barclay de Tolly, prenant pour prétexte sa santé
délabrée, quitte son commandement et abandonne lui
aussi Koutouzov.
Le lundi 19
octobre, à 7 heures du matin, Napoléon, comme s'il
s'agissait d'une simple inspection, écrit a Marie-Louise :
« Je t'écris au moment où je monte à
cheval pour visiter mes avant-postes. Il fait ici chaud, un très
beau courant d'octobre. Nous n'avons encore eu aucun froid, nous
n'avons pas encore éprouvé les rigueurs du climat du
nord. Mon intention est de prendre bientôt mes quartiers
d'hiver et j'espère pouvoir te faire venir en Pologne pour te
voir » .
*****
Sous un beau
soleil, l'Empereur sort du Kremlin par la porte du Sauveur. Avant son
départ, il dicte à Berthier l'ordre destiné au
maréchal Mortier : « Le 22 ou 23, à 2 heures
du matin, il fera mettre le feu au magasin d'eau-de-vie, aux
casernes, aux établissements publics, hormis la maison des
enfants trouvés. Il fera mettre le feu au palais du
Kremlin... » La destruction ne sera pas totale, la pluie
ayant mouillé les mèches ; c'est ainsi que le clocher
d'Ivan le Grand devait être épargné. Cependant,
ce qui sera anéanti par le feu – l'Arsenal, une partie
des tours du Kremlin – fera redoubler les sentiments de haine
au cœur des moscovites. Napoléon se trouvera à
Fimenskoe, à dix lieues de Moscou, lorsqu'il entendra la
terrible explosion.
Alexandre
Tourgueniev pourra écrire « Moscou renaîtra
de ses cendres, et le sentiment de vengeance sera le sommet de notre
gloire et de notre grandeur. Ses ruines seront le gage de notre
expiation morale et politique ; la lueur de l'incendie de Moscou et
de Smolensk éclairera tôt ou tard notre chemin sur
Paris... »
Moscou a vaincu
l'obstination de Napoléon. Il a dû abandonner sa plus
prestigieuse et dernière conquête. C'est assurément
de ce lundi 19 octobre que l'on peut dater le fameux « commencement
de la fin « de la plus éblouissante épopée
française…
La retraite
Le lundi 19
octobre, la Grande Armée, forte encore de cent mille hommes,
suit son maître, abandonne Moscou et coule « tel un
fleuve impur », selon l'expression d'Albert Vandal.
L'artillerie compte cinq cent trente-trois pièces et la Garde
ferme l'immense colonne.
Sur la route de
Kalouga, le colonel Raymond de Fezensac se retourne en arrivant en
haut d'une colline : « Je contemplai longtemps ce
spectacle qui rappelait les guerres des conquérants de l'Asie
: la plaine était couverte d'immenses bagages et les clochers
de Moscou, à l'horizon, terminaient le tableau. On nous fit
faire halte en ce lieu, comme pour nous laisser contempler une
dernière fois les ruines de cette antique ville qui, bientôt,
acheva de disparaître à nos regards... »
Chaque officier possède souvent plusieurs domestiques qui ont
emboîté le pas à l'armée. Des femmes
infiniment plus nombreuses qu'on le croit communément –
telle Mme Fusil du Théâtre-Français de la
capitale russe et qui a laissé des Mémoires –
marchent presque mêlées aux combattants et aux
cantinières que les Russes appellent des mamzelles . Des
milliers de véhicules de tout genre remplis non seulement de
ce qu'il faut pour manger, camper, se vêtir, mais,
essentiellement, de rapines, roulent à la suite des troupes en
un gigantesque désordre. « On ne peut se faire une
idée de la multitude des petites voitures que l'armée
traîne à sa suite, s'étonne Montesquiou. Chars à
bancs, calèches débordant d'élégance et
de vitesse couvrent la route et inondent au loin la plaine... Ces
voitures presque toutes trop délicates, trop légères,
étourdiment menées par leur cocher novice, se
culbutent, se brisent et restent abandonnées dans les fossés
avec les vaines richesses ravies à la Russie. »
On voit un simple
général de brigade, chef d'état-major du 1er
corps, caracoler fièrement, suivi de vingt-cinq chevaux et
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