La campagne de Russie de 1812
la situation.
« Je ne me fis pas prier, racontera Caulaincourt, et
l'Empereur eut ma pensée tout entière sur les
conséquences de la désorganisation de l'armée,
et surtout sur les malheurs dus à la rigueur du froid. »
L'Empereur hausse
les épaules. Ne gèle-t-il pas pour les Russes autant
que pour les Français ? Niant toutes les pénibles
réalités, les écartant d'un geste, Napoléon
envisage maintenant d'ordonner à l'armée de prendre ses
quartiers d'hiver à Orcha et à Vitebsk. Et puis, il
compte toujours fermement sur l'arrivée d'un important
ravitaillement et de deux mille cosaques polonais qui permet- traient
aux soldats de la Grande Armée « de prendre du
repos et de la nourriture », au lieu de se nourrir de
grillade de chevaux, « dépecés avant d'être
morts ».La situation serait alors bien vite changée,
d'autant plus que l'on trouverait des troupes fraîches à
Smolensk. N'y avait-il pas également deux corps d'armée
– ceux de Victor et d'Oudinot – qui ne s'étaient
pas rendus jusqu'à Moscou et ne s'étaient donc pas
battus Borodino et à Malo-Iaroslavetz ? On leur donnerait
l'ordre de rejoindre les forces en retraite.
Il est maintenant
plus de 5 heures du matin et l'Empereur, fidèle à son
idée fixe, questionne encore son ancien ambassadeur au sujet
d'une démarche qui pourrait à nouveau être
tentée auprès d'Alexandre. Aujourd'hui, Moscou est
libérée et certaines provinces ne sont-elles pas
évacuées ? Cette situation n'amènerait-elle pas
la paix ?
– Pas plus
qu'à Moscou, lui affirme le grand écuyer.
La nuit sera brève
pour les deux hommes. Et quelques heures plus tard, on marche à
nouveau sur la route de Smolensk où, rappelons-le, la paille
même des isbas a été dévorée par
les chevaux lors du voyage vers Moscou. « Il est très
important, recommande le maréchal Ney, de marcher comme nous
marchions en Égypte : les bagages au milieu, marchant sur
autant de files que la route le permet, un demi-bataillon en tête,
un demi-bataillon en queue, des bataillons sur les flancs en files,
de manière qu'en faisant front, il y ait du feu partout. Il
n'y a pas d'inconvénient que ces bataillons soient à
quelque distance les uns des autres, mettant quelques files de canons
entrée eux sur les flancs. »
Recommandations
efficaces, car les troupes impériales continuent à être
harcelées par les vingt régiments de cosaques de Platov
qui, suivant un autre axe – celui que l'Empereur voulait
emprunter –, trouvent en abondance vivres et fourrages, et font
sans cesse des incursions sur l'itinéraire de la Grande Armée.
C'est la fameuse « marche parallèle »
voulue par Koutouzov. Des officiers cosaques, pistolet au poing
galopent sur les flancs de l'armée en retraite, tout en criant
: Paris ! Paris ! Dans dix-sept mois, ils s'y trouveront
eux-mêmes et leurs petits chevaux brouteront l'écorce
des arbres des Champs-Élysées...
Il fait maintenant
moins froid, mais la pluie se met à tomber en rafales et la
terrible boue russe englue chemins et champs. Bien vite, le gel
reviendra. Les nuits sont cependant supportables, bien sûr,
« quand on avait du feu », précise
Caulaincourt.
Le capitaine von
Lossberg – le futur général – s'est vu
confier mille cinq cents prisonniers de guerre russes dont une
quarantaine d'officiers. On lui a précisé que l'on ne
possédait pas de vivres pour les nourrir... même un seul
jour. Cependant, on parviendra à leur donner de temps en temps
de la viande provenant de chevaux crevés. En précisant
sa mission à von Lossberg, on lui a donné l'ordre par
écrit de « fusiller sur place chaque
retardataire ».
Les blessés
et les malades de la Grande Armée ont été
placés, accrochés plutôt, fort inconfortablement
derrière les chariots. « Ceux qui ne tombaient pas
à la suite des malaises de leur position, nous dit
Caulaincourt, furent victimes de la fraîcheur des nuits et
moururent de faim... » Les hommes les plus valides font la
loi en écartant les faibles... « Tandis qu'on
faisait cuire la viande sur des charbons, nous dit un témoin,
des malheureux affamés, les yeux hagards, la tête fêlée,
venaient se jeter sur la carbonade et l'enlevaient. On a vu, pour un
morceau de cheval, des hommes se tuer... C'est une bonne fortune que
la chute d'un cheval. Le pauvre animal était mis en pièces
; on s'en disputait les morceaux, même bien souvent avant qu'il
ne soit mort ! » Si l'on attend
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