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La campagne de Russie de 1812

La campagne de Russie de 1812

Titel: La campagne de Russie de 1812 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Castelot
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redoubla
son geste menaçant contre le ciel et l'apostropha avec une
expression aussi courte qu'énergique : ce mot seul est un
horrible blasphème. »

    Et notre témoin
de poursuivre :

    « Je
puis vous assurer que de ma vie je n'ai vu une figure plus effrayante
que la sienne dans cet instant. Il avait tout à fait oublié
le soin qu'il avait mis à composer son visage devant nous et à
nous montrer par intervalles une gaieté simulée, dont
cependant personne n'était dupe. Nos regards observateurs
avaient suivi tous ses mouvements. Nous étions tellement
stupéfaits que ce fut lui qui fut obligé de nous tirer
de l'état d'immobilité où nous avait mis notre
étonnement, en ordonnant de continuer la marche. »

    Ce soir-là,
Napoléon s'arrête à Losnitsa. Parviendra-t-il à
dormir ? Rien n'est moins certain !... Demain, il se trouvera sur les
rives de la Bérézina.

    *****

    Le mercredi 25
novembre, alignés sur le côté droit de la route
conduisant à Borissov, le gros bourg se trouvant sur la rive
gauche de la Bérézina, les vingt mille hommes des
maréchaux Victor et Oudinot attendent. Le corps de réserve
de Victor, le deuxième corps, comme celui d'Oudinot – le
neuvième –, rappelons-le, n'ont pas progressé
jusqu'à Moscou. Napoléon leur a donné
rendez-vous sur les bords de la Bérézina, afin de
couvrir la retraite de la Grande Armée, tandis que l'on
passera la rivière par le pont de Borissov – mais
celui-ci vient d'être en partie détruit. Les soldats de
Victor demeurent en bon ordre. Sans doute s'étaient-ils battus
avec des fortunes diverses contre les Russes de Wittgenstein, sans
doute, après une brève accalmie, le froid avait-il été
de nouveau très vif, mais à Smolensk, bien avant
l'arrivée des rescapés de Moscou, ils s'étaient
repus et, depuis lors, les approvisionnements n'avaient pas été,
pour eux, trop insuffisants. L'artillerie et la cavalerie du maréchal
Victor, comme celles d'Oudinot, sont encore superbes et vont faire
l'admiration de Caulaincourt. Les généraux, les
officiers bien montés possèdent tous leurs équipages
« et jouissent de toutes les douceurs de la vie que peut
procurer la campagne ».

    Ils attendent.

    Et brusquement, à
leurs regards stupéfaits et horrifiés, apparaît
une traînée de spectres revêtus et chaussés
de lambeaux, accouplés de tenues sans nom. Visages décharnés,
noircis par le gel, visages hérissés de barbe, les yeux
fixes, les pieds enveloppés de paille, entortillés de
chiffons, ils marchent. Tels des captifs, en silence. Beaucoup sont
sans armes ; ceux qui possèdent encore leur fusil l'ont
enveloppé de tissus informes. Et, parmi eux, un bâton à
la main, s'avance le maître... Suivent des voitures disparates
surchargées de blessés, quelques canons et leurs
fourgons traînés par des ombres de chevaux.

    Cette horde, ce
sont les restes de l'héroïque Grande Armée qui
donnera son nom à l'une des plus belles avenues de Paris,
celle-là même qui prolonge les Champs- Élysées.

    À la fois
sur la rive droite de la Bérézina et sur la rive gauche
de la rivière – celle où se trouve Napoléon
– cent vingt mille Russes vont opérer leur jonction et
préparer la curée ! Bien sûr, les armées
de Tchitchagov, de Wittenstein et de Koutouzov ont, elles aussi,
souffert du terrible froid mais l'ennemi est mieux équipé
contre l'hiver et il n'a pas eu sa marche encombrée de
traînards et de prisonniers, aussi les unités sont-elles
fort loin de suivre à la débandade.

    Napoléon,
lui, ne peut compter que sur 5 000 ou 6 000 hommes de la Garde,
auxquels viennent s'ajouter les 20 000 soldats amenés par
Victor et Oudinot, ainsi que par les Polonais de Dombrovski –
le 5e régiment – qui se sont repliés après
la prise du pont de Borissov. Des fuyards se sont joints à eux
et le régiment d'élite représente encore une
force de 1 200 hommes bien montés et armés. Il est
difficile de dénombrer les combattants de ce que l'on appelle
encore la Grande Armée, capables, hors la Garde, de tenir un
fusil. Assurément guère plus de 3 000 hommes armés
et disciplinés, sous les ordres de Ney et de Davout.

    En face, 120 000
hommes prêts à foncer sur des soldats affamés et
transis... sans parler des 40 000 traînards aux membres gelés,
40 000 moribonds plutôt ! Il semble impossible que la Grande
Armée, entassée dans un espace de quinze lieues
carrées, parvienne à s'échapper.

    – Je doute,
s'est

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