La campagne de Russie de 1812
de la Bérézina ».
Les ponts devaient
se briser encore le lendemain, à deux reprises. Chaque fois,
les pontonniers se jetteront dans l'eau glacée dont le niveau
atteindra bientôt, à certains endroits, un mètre
soixante de hauteur, et travailleront au milieu des glaçons.
Quarante mille
traînards campent sur les rives. « C'était,
nous dit le général du Monceau, une agglomération
compacte de plusieurs milliers d'hommes de toutes armes : soldats,
officiers, généraux même, confondus, couverts des
guenilles les plus sales et les plus grotesquement disposées
pour se garantir de la gelée, fourmillant de vermine, joignant
à ces accoutrements, indices de la plus affreuse misère,
des physionomies abattues par l'épuisement, des figures pâles,
sinistres, noircies par la fumée, souvent mutilées par
la congélation ; les yeux caves, éteints ; les cheveux
en désordre, la barbe longue et dégoûtante. Puis,
parmi eux, des malheureux livrés à toutes les horreurs
de la faim, minés par la maladie, succombant sous le poids de
leurs maux. Tel était l'aspect de cette multitude qui nous
empêchait d'avancer et ne cédait à aucune de nos
exhortations pour nous laisser passer... »
Ils se battent
pour s'arracher quelques morceaux de pain. Les maisons de Studianka
et la forêt voisine leur ont fourni du bois. Pour la première
fois depuis plusieurs jours, ils ont chaud et refusent, au cours de
la nuit du 26 au 27 novembre, de traverser la Bérézina
en dépit des officiers envoyés par Napoléon.
« J'eus l'occasion d'observer dans cette circonstance,
combien le malheur abrutit et rend imprévoyant, remarquera le
colonel Planat de La Faye. Le pont resta libre toute la nuit sans
qu'il y passât peut-être vingt personnes. »
Le colonel essaye
d'engager quelques-uns de ces malheureux à se rendre sur la
rive droite, mais c'est en vain : ils préfèrent
demeurer la nuit accroupis devant les tisons d'un mauvais feu de
bivouac... Quand le jour paraît – le jour du vendredi 27
novembre – les traînards se précipitent.
L'Empereur assiste au spectacle.
« Ce
fut surtout, écrit Ségur, quand la Garde, sur laquelle
ils se réglaient, s'ébranla. Son départ fut
comme un signal : ils accoururent de toutes parts ; ils
s'amoncelèrent sur la rive. On vit en un instant une masse
profonde, large et confuse d'hommes, de chevaux et de chariots,
assiéger l'étroite entrée des ponts qu'elle
débordait. Les premiers, poussés par ceux qui les
suivaient, repoussés par les gardes et par les pontonniers, ou
arrêtés par le fleuve, étaient écrasés,
foulés aux pieds, ou précipités dans les glaces
que charriait la Bérézina. Il s'élevait de cette
immense et horrible cohue tantôt un bourdonnement sourd, tantôt
une grande clameur, mêlée de gémissements et
d'affreuses imprécations. »
Toute la journée
– par un froid de moins 20 degrés – l'armée
continue à s'écouler lentement. À plusieurs
reprises, Napoléon vient assister au passage. La nuit suivante
– le thermomètre descend à moins 30 degrés
–, les ponts sont de nouveau libres, car la horde est retournée
à ses feux.
« Un
coup de canon me réveilla, a raconté le sergent
Bourgogne. Il faisait jour. Il pouvait être 7 heures. Je me
levai, je pris mes armes et, sans rien dire ni prévenir
personne, je me présentai à la tête du pont et je
traversai absolument seul. Je n'y rencontrai personne que des
pontonniers qui bivouaquaient sur les deux rives pour y remédier
lorsqu'il arrivait quelque accident. »
Le samedi 28
novembre, Victor a toute l'armée de Wittgenstein sur les bras.
Non seulement il parvient à la contenir, mais, pour sauver les
dernières unités qui franchissent les deux ponts, il se
met à attaquer et réussit à refouler l'ennemi et
à lui infliger de lourdes pertes. Les cinq mille cavaliers de
Wittgenstein sont culbutés dans un ravin par les huit cents
sabres du général Fournier. Tandis que, sur la rive
droite, Oudinot, Ney et Mortier maintiennent les vingt-sept mille
hommes de Tchitchagov qui a enfin compris la situation, Victor, sur
la rive gauche, a réussit à résister jusqu'à
la nuit. Mais l'ennemi revient en nombre et le maréchal, sur
l'ordre de l'Empereur, décroche. Non sans mal, deux compagnies
de la Garde tiennent libre l'entrée des deux ponts vers
lesquels le deuxième corps se dirige en employant la force
pour traverser la masse des traînards. À peine l'armée
de Victor est-elle
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