La canne aux rubans
large chemise plissée, avec des
broderies blanches au col et à la poitrine, qui flotte sur un étroit pantalon
de laine blanche serré à la taille par une large ceinture de laine rouge.
— Tu t’étonnes des costumes de nos domestiques ?
Ici c’est la mode et ils en sont très respectueux.
Je suis resté huit jours chez mes amis. En revenant à Bucarest,
je me remémore tous les gestes de sympathie qu’ils m’ont prodigués. J’ai vécu à
la roumaine, couché dans un grand lit garni de couettes et de coussins, goûté à
une multitude de plats locaux et bu des vins originaires des quatre coins du
territoire. J’ai marché à travers cette ville, entre des maisons de bois et de
pierres, en m’arrêtant pour regarder les forgerons et les
menuisiers-charpentiers travailler. J’ai visité quelques musées, examinant les
vieux livres et les icônes sur verre. Je suis entré dans les églises
m’imprégner de leurs richesses. J’ai respiré l’air des montagnes et fait des
balades en traîneau. Tout me devenait émerveillement, nouveauté, chaleur du
cœur et des mots. Mon sommeil et mon appétit redevinrent presque parfaits.
J’entrais enfin en convalescence. Brunesco séjournant encore une semaine dans
sa famille, nous sommes convenus de nous revoir dès son retour dans la
capitale.
Je reprends gîte à l’hôtel Bulevard où l’on me donne la même
chambre que lors de mon premier séjour. Je visite la capitale, un plan dans ma
poche afin d’essayer de tout voir. Il me revient en mémoire une phrase de
Costica : « Qui n’a pas vu Bucarest, ni enfourché un cheval blanc, ne
sait pas ce qui est beau en ce monde. » Les gens y sont aimables, et, dès
qu’ils savent que vous venez de France, ils débordent de prévenances que je
trouve presque exagérées probablement, parce que je n’en ai jamais eu
l’habitude. Ainsi ! ce patron charpentier parlant à peine le français mais
qui, apprenant que j’étais du métier, s’empressa de me montrer ses plans et ses
travaux en cours. Cet homme d’une quarantaine d’années, à la grosse moustache
tombante, semble vraiment heureux. Un sourire éclaire son visage et ses yeux se
plissent de bonheur. Nous autres hommes de la matière, constructeurs du présent
pour le futur, nous nous comprenons sans échanger beaucoup de phrases. Nos
mains caressent le bois ou le saisissent d’une telle façon que, sans un mot, la
communion des gestes et de la pensée éclate dans une osmose silencieuse. Les minutes
que j’ai passées auprès de lui m’ont fait plus de bien que toutes les drogues
de la médecine. Bucarest vit et travaille à toutes les heures de la journée,
non fébrilement comme à Paris, mais dans un rythme souple et continu.
Commerçants, artisans, bureaucrates, cochers de fiacres ou de traîneaux,
passants et badauds se pressent sans anxiété ni nervosité. Cette attitude
ferait-elle partie du charme slave ? J’écris à Marie pour lui dire où je
me trouve et lui donner de mes nouvelles. Elle me répond avec beaucoup de cœur
et m’annonce qu’elle m’envoie une surprise. Ce mot m’intrigue un moment, puis
je l’oublie. La neige devient épaisse, et les trottoirs glissants, mais rien ne
m’empêche de sortir et marcher. Le soir, je vais prendre l’apéritif chez Tripco
ou Mircea, selon mes humeurs. J’y retrouve toujours à peu près les mêmes
personnages qui finissent par me saluer et m’appeler par mon nom. Je fais la
connaissance de quelques Français dont un nommé Blanchon. Grand, sec, presque
chauve, cet homme, qui s’occupe des relations commerciales entre la France et
la Roumanie, a ses entrées dans tous les ministères. Il sourit rarement, mais
je sens en lui une rectitude profonde. Au cours d’une conversation, il me parle
du régime roumain et du roi Ferdinand I er .
— Notre pays patronne la « Petite Entente »
qui maintient la paix et les bons rapports entre notre nation et ses voisins.
Notre rôle est important face à l’Allemagne qui cherche à s’immiscer partout et
la Russie révolutionnaire dont les idées franchissent allègrement les
frontières. Mais vous-même, si je puis me permettre, pourquoi êtes-vous
ici ?
Rapidement, sans m’étendre trop, je m’ouvre à lui et me
présente.
— Si vous savez avoir les contacts qu’il faut, vous
trouverez sans doute de quoi vous occuper. Votre seul handicap est l’usage de
la langue, mais essayez tout de même. Voyez les banques d’affaires et
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