La case de L'oncle Tom
de ces petits qui croient en moi, il lui vaudrait mieux qu’on mit une pierre de meule autour de son cou, et qu’on le jetât dans la mer [43] . »
Un doux et calme rayon de la lune descend d’en haut, et dessine, sur les groupes endormis, l’ombre des barreaux de la fenêtre. La mère et la fille chantent ensemble, sur un air bizarre et triste, un cantique composé par des esclaves, sorte d’hymne funèbre consacré parmi eux.
Où donc est la pauvre Marie,
Qui pleurait, pleurait sans répit ?
Où donc est la pauvre Marie ?
Elle a gagné le paradis !
Personne plus ne l’injurie,
Ne la frappe, ne la maudit ;
Morte, elle est l’heureuse Marie,
Elle a gagné le paradis !
Ces paroles, chantées par des voix douces et mélancoliques, au milieu d’une atmosphère imprégnée des soupirs du désespoir exhalés vers le ciel, résonnaient, à travers les sombres salles de la prison avec un accent pénétrant.
Oh ! chers amis, qui peut nous dire
Où sont cachés Paul et Silas ?
Leur sort ne pouvait être pire
Qu’il ne le fut sur terre, hélas !
Ici-bas c’était leur martyre,
Mais là-haut, dans le ciel bénis,
Ils ont ce que tout cœur désire,
Ils ont gagné le paradis !
Chantez, pauvres âmes, chantez ! La nuit est courte, et demain vous arrachera pour toujours l’une à l’autre !
C’est le matin, tout le monde est sur pied : le digne M. Skeggs, alerte et affairé entre tous, dispose son lot pour la vente. Il y a une sévère inspection des toilettes ; il est enjoint à chacun de prendre son meilleur visage, son air le plus éveillé. Maintenant tous, rangés en cercle, vont être passés en revue une dernière fois avant le départ pour la Bourse.
M. Skeggs, coiffé de son chapeau de fibres de palmier tressées, et fumant son cigare, fait sa tournée ; il met une dernière touche à sa marchandise.
« Comment cela ? dit-il, s’arrêtant en face de Suzanne et d’Emmeline ; qu’as-tu fait de tes boucles, la fille ? »
La jeune fille regarda timidement sa mère, qui, avec l’adresse polie, habituelle à sa classe, répondit :
« Je lui ai dit hier soir d’unir ses cheveux bien proprement, au lieu de les avoir tout ébouriffés en boucles ; c’est plus honnête, plus décent.
– Bêtises ! dit l’homme ; et se tournant d’un air impérieux vers Emmeline : Va-t’en te friser, et vite ! ajouta-t-il en faisant craquer son rotin. Ne te fais pas attendre ! – Et toi, va l’aider ! dit-il à la mère. Rien que ces boucles peuvent faire une différence de cent dollars sur la vente ! »
Des hommes de toutes les nations vont et viennent, sous un dôme splendide, sur un pavé de marbre. De chaque côté de l’arène circulaire s’élèvent de petites tribunes, à l’usage des commissaires-priseurs et des crieurs. Deux d’entre eux, gens instruits et de bonne mine, s’efforcent à l’envi, en un jargon moitié anglais, moitié français, de vanter la marchandise et de faire hausser les enchères. Une troisième tribune, encore vide, est entourée d’un groupe qui attend que la vente commence. Au premier rang figurent les domestiques de Saint-Clair : – Tom, Adolphe et leurs camarades ; là aussi Suzanne et Emmeline, inquiètes, abattues, se serrent l’une contre l’autre. Différents spectateurs, venus sans intention précise d’acheter, sont réunis autour des articles à vendre, les palpent, les inspectent, et discutent sur leur valeur et leurs dehors, avec la même liberté qu’en pourrait mettre une bande de jockeys à commenter les mérites d’un cheval.
« Holà, Alf ! qui vous amène ici ? dit un jeune beau , en frappant sur l’épaule d’un autre élégant, occupé à examiner Adolphe à travers son lorgnon.
– On m’a dit que les gens de Saint-Clair se vendaient aujourd’hui ; j’ai besoin d’un valet de chambre : j’ai voulu voir si le sien m’irait.
– Qu’on m’y prenne à acheter un seul des gens de Saint-Clair ! des nègres gâtés, du premier au dernier ! impudents comme le diable !
– Ne craignez rien, dit le beau ; une fois à moi, je les ferai bien changer de ton. Ils verront qu’ils ont affaire à un autre maître que monsieur Saint-Clair. – Sur ma parole, le drôle me revient ! je l’achèterai. J’aime sa tournure.
– Il absorbera tout votre avoir, rien que pour son entretien. Il est d’une dépense extravagante !
– Oui ; mais milord s’apercevra
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