La case de L'oncle Tom
de quelques secondes, cette frénésie s’apaisa ; elle se leva lentement, et parut reprendre empire sur elle-même.
« Que puis-je faire encore pour vous, mon pauvre compagnon ? dit-elle en s’approchant de Tom ; vous donnerai-je un peu d’eau ? »
Il y avait dans sa voix et son geste, quand elle prononça ce peu de mots, une douceur gracieuse et compatissante qui contrastait étrangement avec sa première amertume.
Tom but l’eau, et la regarda en face, ému et fervent.
« Ô maîtresse, que je voudrais que vous alliez à CELUI qui peut vous donner les eaux vives !
– Aller à lui ? où est-il ? qui est-il ?
– Celui dont vous lisiez tout à l’heure la mort : – le Seigneur.
– J’ai vu sa croix sur l’autel, quand j’étais jeune fille, dit Cassy, ses yeux noirs perdus dans une triste et profonde rêverie ; mais Il n’est pas ici ! – Il n’y a rien ici, que péché, et lent, lent désespoir ! – Oh ! » Elle appuya la main sur sa poitrine et respira avec effort, comme oppressée par un poids accablant.
Tom eût voulu parler encore ; elle l’arrêta d’un geste impérieux.
« Assez, mon pauvre compagnon. Essayez de dormir, si vous le pouvez. » Elle mit de l’eau à portée de sa main, l’arrangea sur sa couche du mieux qu’elle put, et quitta la grange.
CHAPITRE XXXVI
Les souvenirs.
Et légères parfois peuvent être les choses
Qui ramènent soudain sur le cœur oppressé
Le poids que, pour jamais, il croyait repoussé ;
C’est un son, – c’est un chant, – un soir d’été, – le […] [46]
Une fleur, – l’Océan, qui, dans l’âme surprise,
Vient, de l’obscure chaîne où chacun est lié,
Toucher un seul chaînon, – et tout l’être a crié.
CHILDE HAROLD.
Le salon de l’habitation de Legris était une vaste pièce, ornée d’une haute et spacieuse cheminée. Un papier coûteux, à couleurs tranchantes, le décorait jadis, et se détachait aujourd’hui des murs humides, en lambeaux moisis et décolorés. Une odeur nauséabonde et malsaine, mélange d’humidité, de poussière et de pourriture, odeur particulière aux vieilles maisons désertes et longtemps fermées, s’y faisait sentir. Des taches de bière et de vin souillaient le papier, barbouillé de notes et d’additions à la craie, comme si là quelqu’un se fût livré à l’étude de l’arithmétique. On avait placé sur l’âtre un brasier plein de charbons ardents, quoique le temps fût doux, car dans cette vaste pièce les soirées paraissaient toujours nébuleuses et glaciales : d’ailleurs, il fallait à Legris du feu pour allumer ses cigares et faire bouillir l’eau de son punch. La lueur rougeâtre du charbon dévoilait le repoussant et confus aspect de la salle, – encombrée du haut en bas de selles, de harnais de toutes formes, de fouets, de manteaux et autres vêtements amoncelés, au milieu desquels campaient les bouledogues, s’en accommodant à leur guise, et se mettant à l’aise.
Legris s’apprêtait un bol de punch, et tout en versant de l’eau chaude d’une cruche ébréchée, grommelait entre ses dents :
« Peste soit de ce maudit Sambo ! qu’avait-il besoin de me mettre aux prises avec les nouveaux venus ! Voilà ce drôle hors d’état de travailler pour une semaine ! – juste au moment où la besogne presse le plus !
– Oui, et c’est bien de vous ! dit une voix derrière sa chaise. Cassy venait d’entrer et avait surpris son monologue.
– Ah ! c’est toi, démon-femelle ! tu mets les pouces ? tu reviens ?
– Oui, je reviens, dit-elle froidement, mais pour en faire à ma tête.
– Tu mens, sorcière ! Je te tiendrai parole. Ainsi marche droit, ou reste aux cases, à travailler et à manger avec le troupeau.
– J’aimerais dix mille fois mieux, répondit la femme, vivre là-bas dans le plus sale trou, que d’être ici sous votre griffe.
– Mais tu y es sous ma griffe, après tout, lui dit-il, se tournant vers elle avec une grimace sauvage, et c’est ce qui m’en plaît. Ainsi, assieds-toi là, sur mes genoux, ma belle, et entends raison. Et de sa main de fer il lui saisit le poignet.
– Simon Legris, prenez garde ! » s’écria la femme. Son œil darda un éclair si foudroyant, un regard si aigu et si égaré, qu’elle était effrayante à voir.
– Vous avez peur de moi, Simon, dit-elle d’un ton résolu, et vous avez raison d’avoir peur. Soyez sur vos gardes, car le
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