La case de L'oncle Tom
Ne connais-je pas les nègres ? Il rampera comme un chien, ce matin.
– Non, Simon ; vous ne connaissez rien à cette espèce-là. Vous pouvez le tuer pouce à pouce, mais vous n’en tirerez pas un mot de repentir.
– Nous verrons ! Où est-il ? dit Legris en sortant.
– Dans le hangar du magasin, » répondit Cassy.
Legris, quoiqu’il eût si résolument parlé à Cassy, s’éloigna de la maison avec un doute qui ne lui était pas ordinaire. Ses rêves de la nuit passée, venant se mêler aux prudentes suggestions de Cassy, lui obsédaient l’esprit. Il décida que personne ne serait témoin de son entrevue avec Tom, et se promit, s’il ne pouvait le soumettre par la menace, d’ajourner sa vengeance à une époque plus favorable.
À travers le grossier vitrail de la grange où gisait Tom, la douce lumière de l’aube, la gloire angélique de l’étoile du matin avaient pénétré, semblant apporter avec elles ces paroles solennelles : « Je suis la tige et le rejeton de David ; je suis l’étoile brillante du matin ! » Les réticences, les avis mystérieux de Cassy, loin d’abattre son âme, l’avaient fortifiée, comme un appel d’en haut. Il ne savait si c’était le jour de sa mort qui se levait au ciel, et son cœur palpitait de joie et de désir en songeant à toutes les merveilles, sujet constant de ses méditations. Le grand trône blanc, entouré de son arc-en-ciel toujours radieux, la multitude en robe blanches, murmurante comme le bruit des grandes eaux, les couronnes, les palmes et les harpes d’or, pouvaient tous éclater à sa vue avant le coucher du soleil ! Il entendit donc, sans effroi et sans frisson, la voix de son persécuteur au moment où il approcha.
« Eh bien ! mon garçon, dit Legris en le frappant avec mépris du pied, comment te va ? Ne t’avais-je pas prédit que je t’apprendrais une chose ou deux ? T’en trouves-tu bien ? La leçon te plaît-elle ? tes geignements t’ont-ils profité ? Es-tu tout à fait aussi crâne que tu l’étais hier ? Ne saurais-tu régaler un pauvre pécheur d’un petit brin de sermon ? Tâche ! »
Tom ne répondit rien.
« Lève-toi, brute ! » s’écria Legris en lui donnant un second coup de pied. C’était chose difficile, brisé, affaibli comme l’était le pauvre Tom ; et pendant qu’il essayait d’obéir, Legris se mit à rire brutalement. « Qui te rend si peu alerte ce matin, Tom ? Tu as peut-être reçu un coup d’air cette nuit ? »
Tom était parvenu à se lever, et regardait son maître en face, avec un front impassible et serein.
« Ah ! diable, tu peux bouger ! dit Legris le considérant : je crois que tu n’en as pas encore assez. Maintenant, à genoux, Tom, et demande-moi pardon de tes grimaces d’hier soir. »
Tom ne bougea pas.
« À genoux, chien ! répéta Legris, en le frappant de sa cravache.
– Maître Legris, dit Tom, je ne le peux pas. Je n’ai fait que ce que je croyais être bien. Je recommencerais, juste de même, si l’occasion venait. Je ne ferai jamais une cruauté. Arrive ce qui pourra !
– Oui, mais tu ne sais pas ce qui peut arriver, maître Tom. Tu crois que ce que tu as reçu hier est quelque chose ? Eh bien, moi, je te dis que ce n’est rien, rien du tout. – Aimerais-tu à être lié à un arbre et brûlé à petit feu ? Ne serait-ce pas un agréable passe-temps ? – hein, Tom !
– Maître, répondit Tom, je sais que vous pouvez faire d’effroyables choses ! mais, – il se redressa et joignit les deux mains, – mais quand vous aurez tué le corps, vous ne pourrez plus rien, – rien ! Et après ! oh ! après ! viendra l’ éternité , toute l’ÉTERNITÉ ! »
L’ÉTERNITÉ ! – À ce mot, l’âme du pauvre noir tressaillit, inondée de lumière et de puissance ; – celle du pêcheur aussi tressaillit comme sous la morsure du scorpion. Muet de rage, Legris broya le mot sous ses dents. Tom, semblable à un captif délivré de ses chaînes, parlait d’une voix claire et joyeuse.
« Maître Legris, vous m’avez acheté, et je vous serai un loyal et fidèle serviteur. Je vous donnerai tout l’ouvrage de mes mains, tout mon temps, toute ma force, mais je n’abandonnerai jamais mon âme à une créature mortelle. Que je doive vivre ou mourir, je persévérerai dans le Seigneur, et mettrai ses commandements avant toutes choses ; vous pouvez en être sûr. Je n’ai pas peur de la mort : j’aime autant
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