La case de L'oncle Tom
mourir que vivre. Il ne tient qu’à vous de me battre, de m’affamer, de me brûler, je n’en irai que plus tôt là où j’ai soif d’aller.
– Je te ferai bien céder avant d’en finir avec toi, dit Legris furieux.
– Jamais vous ne pourrez, dit Tom ; j’aurai de l’aide.
– Qui diable t’aidera ? reprit Legris avec mépris.
– Le Seigneur tout-puissant !
– Sois damné ! » dit Legris, et d’un coup de son poing il terrassa Tom.
Une main glacée toucha la sienne. Il se retourna : c’était Cassy. Mais ce toucher froid et doux évoqua son rêve de la nuit, et toutes les horribles images du cauchemar, qui l’avait torturé, se dressèrent dans son cerveau et le remplirent d’épouvante. « Agirez-vous donc toujours comme un fou ? dit Cassy en français. Laissez-le tranquille ! Je veillerai à ce qu’il soit bientôt en état de retourner aux champs. N’est-ce pas tout juste comme je vous l’avais dit ? »
On assure que le rhinocéros et le crocodile, quoique revêtus d’une cuirasse à l’épreuve de la balle, ont cependant un point vulnérable. Chez les réprouvés les plus endurcis et les plus impies, ce point est d’ordinaire une terreur superstitieuse.
Legris se détourna, décidé à en rester là pour l’instant.
« Eh bien ! fais-en à ta fantaisie, dit-il à Cassy d’un ton bourru.
– Écoute, ajouta-t-il en s’adressant à Tom, je ne veux pas en finir avec toi aujourd’hui, parce que la besogne presse, et que j’ai besoin de toutes mes mains. Mais je n’oublie jamais ; j’en tiens note, et quelque jour ta vieille carcasse noire me payera au centuple ce que tu me dois. Comptes-y ! »
Après cette menace il sortit.
« Va ! dit Cassy, le regardant d’un air sombre comme il s’éloignait, tu auras aussi un compte à régler un jour ! – Eh bien, mon pauvre garçon, comment vous sentez-vous ?
– Le Seigneur Dieu a envoyé son ange, et il a fermé la gueule du lion pour cette fois, dit Tom.
– Oui, pour cette fois, répéta-t-elle. Mais désormais sa haine est attachée à vous ; elle vous suivra de jour en jour, accrochée comme un chien à votre gorge ; elle sucera votre sang, et pompera votre vie goutte à goutte ! Je connais l’homme ! »
CHAPITRE XXXVIII
La liberté.
Quelle que soit la solennité du sacrifice offert sur l’autel de l’esclavage, dès que l’esclave touche le sol sacré de la Grande-Bretagne, l’autel et le Dieu croulent dans la poussière, et l’homme se redresse, racheté, régénéré, affranchi, de par l’irrésistible génie de l’émancipation universelle.
CURRAN.
Abandonnant un moment Tom aux mains de ses persécuteurs, retournons en arrière dans la ferme du bord de la route, où nous avons laissé Georges et sa femme entre des mains amies.
On se rappelle Tom Loker gémissant et s’agitant dans un lit quaker, d’une blancheur immaculée, sous la surveillance maternelle de tante Dorcas, qui trouvait son patient d’humeur aussi traitable qu’un bison malade.
Imaginez une grande femme, digne et spiritualiste, dont le bonnet de mousseline claire surmonte les ondes de cheveux argentés ; au-dessous d’un front large et pur s’ouvrent des yeux gris et pensifs ; un fichu de crêpe lisse, blanc comme neige, se croise sur sa poitrine ; sa robe de soie, brune et luisante, fait entendre un paisible et doux frou-frou, quand elle va et vient dans la chambre.
« Diable ! se récrie Tom Loker jetant de côté les draps.
– Je t’en prie, Thomas, ne te sers pas de pareils mots, dit tante Dorcas, qui rajuste tranquillement le lit.
– Eh bien, je ne dirai plus diable, bonne maman, si je peux m’en empêcher, dit Tom ; mais, vous tenir ainsi dans une étuve, il y a de quoi faire jurer un saint ! »
Dorcas enleva le couvre-pied, unit les draps et les borda ; en sorte que Tom avait l’air d’une chrysalide.
« Je voudrais bien, ami, dit-elle, tout en remettant le lit en ordre, qu’au lieu de jurer et de tempêter, tu songeasses un peu à tout ce que tu as fait.
– Pourquoi, de par l’enfer ! y songerais-je ? reprit Tom. C’est la dernière chose à laquelle je me soucie de penser ! Que tout aille au diable ! » Et Tom bondit de nouveau, dégageant les couvertures et créant autour de lui un désordre universel.
« L’homme et la fille sont ici, je suppose ? demanda-t-il d’un ton bourru, au bout d’un moment.
– Ils sont ici, répliqua Dorcas.
– Ils
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