La case de L'oncle Tom
nouvelle ne put alors circuler qu’en secret, d’oreille à oreille. Mais qui dira avec quels ravissements plusieurs de ces pauvres proscrits, dont la vie n’avait été qu’un pesant et triste voyage vers un but sombre et inconnu, – avec quels transports ils accueillirent l’annonce d’un Rédempteur miséricordieux et d’une céleste patrie ! Les missionnaires affirment que c’est la race africaine qui, entre toutes, reçoit l’Évangile avec le plus de docilité. En effet, sa nature n’est-elle pas toute confiance et foi ? Des semences de la parole de vérité, jetées au hasard, portées par quelque brise favorable dans l’une de ces âmes naïves et ignorantes, y ont parfois germé, et produit des fruits plus abondants que ceux obtenus par une plus haute et plus savante culture.
La pauvre mulâtresse, dont les simples croyances avaient été bouleversées par l’avalanche de cruautés et d’injustices tombée sur elle, sentit son âme ranimée par quelques hymnes, quelques passages des saintes Écritures, que l’humble missionnaire murmurait de temps à autre à son oreille, lorsqu’ils allaient au travail et en revenaient. – Il n’y avait pas jusqu’à l’esprit sauvage et à demi égaré de Cassy qui ne se calmât, qui ne s’adoucit à cette suave et discrète influence.
Poussée au désespoir, presque à la folie, par toute une vie d’agonie et d’angoisses, Cassy avait résolu en son âme qu’elle aurait son heure, et, de sa propre main, vengerait sur son oppresseur les cruautés dont elle avait été ou témoin ou victime.
Une nuit, tous les habitants de la case de Tom dormaient profondément, lorsqu’il fut réveillé en sursaut, et vit paraître la figure de Cassy à la fenêtre, ou plutôt au trou qui en tenait lieu. Elle l’appela au dehors d’un geste silencieux.
Tom sortit de la case ; il pouvait être d’une à deux heures du matin. – La lune brillait, tranquille, large et pure. Lorsque la lueur calme tomba sur les grands yeux noirs de Cassy, Tom en remarqua le flamboyant éclair, si différent de leur expression habituelle de morne désespoir.
« Ici, père Tom, dit-elle, venez ! Et posant sa petite main sur le robuste poignet du noir, elle l’entraîna avec autant de force que si ses doigts eussent été d’acier. – Venez ! Il y a des nouvelles pour vous.
– Qu’est-ce, demoiselle Cassy ? demanda Tom avec anxiété.
– Tom, souhaitez-vous la liberté ?
– Je l’aurai, demoiselle, quand Dieu voudra.
– Vous pouvez l’avoir cette nuit même, dit Cassy avec énergie. – Venez ! »
Tom hésita.
« Allons, murmura-t-elle fixant ses noirs yeux sur les siens. Vite ! Il dort d’un lourd sommeil. – J’ai mis ce qu’il fallait dans son rhum pour que le sommeil dure. Que n’en ai-je eu davantage, et votre aide était superflue. Mais, venez ! la porte de derrière est entrebâillée ; – il y a une hache tout contre. – Je l’y ai mise ; – la porte de sa chambre est ouverte… Je l’eusse fait, mais j’ai les bras trop faibles. – Venez ! venez !
– Non ; pas pour dix mille mondes, demoiselle Cassy ! dit Tom avec fermeté, s’arrêtant et la retenant comme elle voulait l’entraîner.
– Mais pensez à tant de pauvres créatures que nous pouvons affranchir d’un seul coup ! Nous irons après quelque part dans les marécages, sur une île, vivre là ensemble. Pareilles choses se sont faites, je le sais. Quelle vie ne serait préférable à la nôtre !
– Non ! dit Tom résolument, non ! Jamais le bien ne vient du mal. Je couperais plutôt ma main droite !
– Alors je le ferai seule, dit Cassy marchant toujours.
– Oh ! demoiselle Cassy ! et Tom se jeta devant elle. Pour l’amour du cher Seigneur, qui est mort pour vous, ne vendez pas votre précieuse âme au démon ! Rien que du mal ne peut venir du mal. Le Seigneur ne nous a pas appelés à la vengeance ; nous devons souffrir et attendre son heure.
– Attendre ! dit Cassy ; n’ai-je pas attendu ? attendu jusqu’à ce que la tête me tourne, que le cœur me manque ! Que ne m’a-t-il pas fait souffrir ? que n’a-t-il pas fait souffrir à des centaines de misérables créatures ? Ne pressure-t-il pas le sang de vos veines ? Je suis appelée !… entendez-vous !… Son heure est venue ; j’aurai le sang de son cœur !
– Non, non, non ! dit Tom retenant entre les siennes les deux petites mains crispées. Non, chère pauvre
Weitere Kostenlose Bücher