La case de L'oncle Tom
âme perdue, vous ne le ferez pas ! Le cher béni Seigneur n’a jamais répandu d’autre sang que le sien, et il l’a versé pour nous, nous ses ennemis. Oh ! que le Seigneur nous vienne en aide, et nous apprenne à le suivre, à aimer aussi ceux qui nous haïssent !
– Aimer ! reprit Cassy avec un fauve regard, aimer de tels ennemis ! oh ! ce n’est pas possible à des êtres de chair et de sang !
– Non, demoiselle, ça ne l’est pas, et Tom leva ses yeux en haut. Mais LUI il peut nous l’inspirer, et là est la victoire . Quand nous pouvons aimer, prier pour tous, à travers tout, il n’y a plus combat, la victoire est gagnée, – Gloire soit à Dieu ! » Et, avec une voix entrecoupée, des yeux ruisselants de larmes, le noir éleva son regard vers le ciel.
Et c’est là, ô Afrique ! la dernière appelée parmi les nations : appelée à la couronne d’épines, au fouet, à la sueur de sang, à l’agonie de la croix, – c’est là ta victoire ! c’est par là que tu régneras avec le Christ quand son royaume viendra sur terre.
La profonde ferveur des sentiments de Tom, la douceur pénétrante de son accent, ses larmes, tombaient comme une rosée céleste sur l’âme fiévreuse et violente de la pauvre femme. Le feu sombre de ses yeux s’amortit ; elle abaissa ses paupières, et Tom sentit se relâcher l’étreinte nerveuse de sa main, lorsqu’elle reprit :
« Ne vous l’ai-je pas dit que le mauvais esprit me suivait ? Oh ! père Tom, je ne fais pas prier. – Ah ! si je le pouvais ! – mais je n’ai plus prié depuis que mes enfants ont été vendus ! Ce que vous dites est bien, – je sais que ce doit être bien. Mais quand j’essaie de prier, je ne puis que haïr et maudire. – Je ne puis plus prier !
– Pauvre âme ! dit Tom avec compassion. Satan veut vous gagner à lui. Il veut vous broyer comme le froment sur l’aire. – Je prierai le Seigneur pour vous. Oh ! demoiselle Cassy, tournez-vous vers le cher Seigneur Jésus. Il est venu guérir les cœurs brisés et consoler ceux qui pleurent. »
Cassy demeurait debout, silencieuse, et les larmes tombaient en larges gouttes de ses yeux baissés.
« Demoiselle Cassy, reprit Tom en hésitant après l’avoir considérée un moment en silence ; si vous pouviez vous tirer d’ici, vous ? – Si la chose était possible, je vous conseillerais, à vous et à Emmeline, de fuir – si ça se peut sans meurtre ni sang répandu, – mais pas autrement.
– Voulez-vous essayer avec nous, père Tom ?
– Non, dit Tom. Il y a eu un temps où je l’aurais voulu ; mais le Seigneur m’a donné de l’ouvrage parmi ces pauvres âmes, et je veux rester près d’elles, et porter ma croix avec elles jusqu’au bout. Vous, c’est différent. Il y a piège pour vous. – C’est trop fort pour que vous y teniez. – Mieux vaut se sauver, si c’est possible !
– Je n’y connais d’autre issue que la tombe, dit Cassy. Il n’y a pas de bête ou d’oiseau qui ne trouve son gîte. Les serpents mêmes, les alligators ont leur lieu de repos et leur abri ; mais pour nous il n’y en a pas. Là-bas, au plus épais des marécages, leurs chiens nous traqueraient. Les gens, les choses, tout est contre nous. – Les bêtes mêmes se rangent contre nous. – Et où aller ? »
Tom demeura muet ; enfin il dit :
« Celui qui a sauvé Daniel de la fosse aux lions, qui a tiré les trois enfants de la fournaise ; – celui qui a marché sur la mer et commandé aux vents de s’apaiser, – celui-là est vivant ! J’ai foi qu’il peut vous délivrer. Essayez, et je prierai de toute mon âme ; je prierai pour vous. »
Par quelle étrange loi se fait-il qu’une idée, longtemps repoussée, étincelle soudain d’une nouvelle lumière, et la pierre, jetée à nos pieds comme inutile, brille tout à coup de l’éclat du diamant ?
Cassy avait tant et tant de fois roulé dans sa tête tous les plans de fuite probables ou possibles, et les avait rejetés comme impraticables : à ce moment, un projet illumina son esprit, et lui apparut si simple, si facile dans tous ses détails, que l’espérance s’éveilla aussitôt.
« Père Tom ! j’essaierai, dit-elle soudain.
– Amen, reprit Tom, et que le Seigneur vous secoure ! »
CHAPITRE XL
Le stratagème.
La voie des méchants est comme l’obscurité, ils ne savent où ils tomberont.
PROVERBES , ch IV, verset 19.
Le grenier de la maison
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