La case de L'oncle Tom
paroles triomphantes d’un hymne qu’il avait chanté souvent en de plus heureux jours, mais jamais avec une telle plénitude de joie :
La terre fondra comme neige,
Et le soleil s’éclipsera ;
Mais le Seigneur, qui nous protège,
À ma droite se lèvera !
Quand mon existence mortelle,
La chair, les sens disparaîtront ;
Sans voile, la gloire éternelle,
Viendra rayonner sur mon front.
Des milliers de millions d’années,
Devant nous passeront en vain ;
Nos bienheureuses destinées
Jamais ne connaîtront de fin.
Pour peu qu’on soit au fait des histoires religieuses qui circulent parmi les esclaves, on sait que rien n’est plus fréquent que les visions du genre de celle-ci. Nous avons eu occasion d’entendre souvent des récits merveilleux, racontés avec une foi naïve par ces hommes simples et croyants. Les psychologistes parlent d’un état dans lequel les émotions deviennent si impérieuses, l’imagination tellement puissante, que les sens leur obéissent, et revêtent l’idée immatérielle d’une forme visible. Qui limitera d’ailleurs l’emploi que le Tout-Puissant peut faire des facultés dont il nous a doués ? Qui lui tracera ses voies pour ranimer l’âme oppressée ? Ah ! si l’esclave, abandonné de tous, croit que Jésus s’est manifesté à lui, que le Christ lui a parlé, qui osera le contredire ? LUI, le Sauveur, n’a-t-il pas dit que sa mission, dans tous les siècles, est de guérir les cœurs brisés, et de relever libre celui qu’écrasait sa chaîne !
Quand les lueurs grisâtres du crépuscule du matin éveillèrent les dormeurs pour le labeur des plantations, parmi ces malheureux en haillons, frissonnants, il en était un qui marchait d’un pas joyeux et triomphal ; car, plus ferme que le sol qu’il foulait, son inébranlable foi se fondait sur l’éternel amour du Tout-Puissant.
Ah ! maintenant essaie tes forces, Legris ! Les dernières angoisses, le malheur, l’abjection, le besoin, la perte de tout, ne feront plus que hâter l’heure où il se lèvera prêtre et roi, selon Dieu !
De ce moment, un inviolable horizon de paix environna le cœur de l’humble opprimé, – le Sauveur, toujours présent, l’avait élu pour son temple. Loin maintenant les douloureux déchirements des regrets terrestres ; loin les fluctuations énervantes d’espérances, de désirs et de craintes ; la volonté humaine si longtemps saignante dans la lutte, courbée aujourd’hui, s’était complètement fondue dans le vouloir divin. – C’était désormais si court à ses yeux que ce reste de vie ! – Si proches, si éclatantes apparaissaient les béatitudes éternelles, que les dernières souffrances, les angoisses suprêmes, devaient être secouées inaperçues. Ô mort ! où est ton aiguillon ?
Ce changement fut évident à tous les yeux. La vivacité, l’allégresse étaient revenues à Tom, jointes à une quiétude qu’aucune injure, aucune vexation ne pouvait plus troubler.
« Quel diable possède Tom ? demanda Legris à Sambo. Ces derniers temps il était terrassé, et le voilà maintenant réveillé comme un grillon !
– Sais pas, maît’ ; p’t-être bien qu’i trame qué’que fuyade.
– J’aimerais assez voir ça, dit Legris avec un sauvage grincement de dents : qu’en dis-tu, Sambo ?
– Y aurait de quoi éclater ! ho ! ho ! ho ! fit le noir gnome, riant d’un rire obséquieux. Seigneur, quelle farce ! le voir s’enfoncer dans la bourbe, être chassé, et se démêler d’entre les épines avec les chiens à ses trousses ! – Ai-je ri à me tordre, cet’ aut’ fois que nous avons rattrapé Molly ! Si j’ai pas cru qu’ils lui laisseraient que les os avant que je pusse la leur tirer des dents ! Oh ! elle doit garder encore de bonnes marques de cette bamboche-là !
– Je compte bien, reprit Legris, qu’elle les portera jusqu’à sa fosse. Mais, Sambo, aie l’œil au guet ; et si le nèg’ a quelque fantaisie de décamper, donne-lui le croc en jambes.
– Fiez-vous-en à moi, maît’ ! Je vous brancherai le raccoun, ho ! ho ! ho ! »
Cette conversation se tenait pendant que Legris montait à cheval pour se rendre à la ville voisine. Revenant de nuit, il eut l’idée de se détourner et de galoper autour des quartiers, pour voir un peu si tout s’y passait dans les règles.
C’était par un magnifique clair de lune ; les ombres des gracieux arbres de l’avenue
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