La case de L'oncle Tom
ouvrit sa Bible. Là se trouvaient marqués tant et tant de passages , qui si souvent avaient pénétré son âme, – paroles des patriarches et des voyants, des poètes, des sages, qui, depuis le commencement des siècles, ont enseigné le courage à l’homme : voix résonnant du sein de cette immense nuée de témoins, qui nous environnent durant les luttes de la vie. La Parole avait-elle donc perdu de sa force ? ses yeux défaillants, ses sens émoussés, ne répondaient-ils plus à l’appel de cette inspiration puissante ? Avec un profond soupir, il remit le livre dans sa poche. Un brutal éclat de rire le fit tressaillir. Il releva la tête. – Legris était debout en face de lui.
« Eh bien, vieux nèg’, dit le maître, tu trouves que ta religion fonctionne mal, à ce qu’il paraît ! Je me doutais que je ferais entrer quelque bon sens dans ta caboche, au travers de ta laine, à la fin ! »
Le cruel sarcasme était pis que la faim, le froid, le dénûment : Tom se tut.
« Tu es un sot, car je te voulais du bien quand je t’ai acheté, poursuivit Legris. Il ne tenait qu’à toi d’être plus heureux que Sambo ou Quimbo, tous deux ensemble. Au lieu de te faire rosser, étriller, de deux jours l’un, tu aurais levé la tête parmi tes pareils, et rondiné à ton tour les autres nèg’s ! De temps en temps on t’aurait ragaillardi le cœur avec une bonne rasade de chaud punch au whishy. Allons ! Tom, entends raison ! – Flanque-moi ce vieux tas de jongleries au feu, et embrasse mon Credo !
– Le Seigneur m’en préserve ! dit Tom avec ferveur.
– Tu vois que le Seigneur ne s’inquiète guère de toi ; s’il en prenait souci, il ne t’aurait pas tout d’abord laissé choir dans mes griffes . Ta religion, entends-tu bien, n’est qu’un tas de mensonges et de duperies. Je sais ce qu’en vaut l’aune, Tom, et tu ne perdras rien à te ranger de mon bord. Je suis quelqu’un, moi, et je puis quelque chose !
– Non, maître, dit Tom, je tiens bon. Que le Seigneur m’aide ou ne m’aide pas, je m’attacherai à lui, je croirai en lui jusqu’au bout !
– Double sot ! vieille dupe ! cria Legris lui crachant au visage, et le repoussant du pied. Ne t’inquiète pas, va ! je te pourchasserai, je te soumettrai ; – tu verras ! » Et Legris s’éloigna.
Quand, sous un fardeau trop lourd, l’âme succombant oppressée, descend aux dernières limites d’humiliation et de découragement, soudain, par une réaction violente il arrive que toutes les fibres, tous les nerfs se tendent, et rejettent le poids écrasant ; alors, de la plus accablante angoisse naît un retour inespéré de force et de courage. Il en fut ainsi pour Tom. Les railleries impies de son maître avaient fait reculer son âme lassée, jusqu’au point le plus bas : si la main de la foi le rattachait encore à l’impérissable roc, c’était avec l’étreinte glacée du désespoir. Tom était demeuré abasourdi, courbé près de son feu. Soudain, tout ce qui l’environnait s’effaça. Devant lui se dressait l’image du Fils de l’Homme, couronné d’épines, frappé, saignant. Tom, ému d’admiration et de respect, contemplait la face majestueuse et placide. Les yeux profonds, pleins d’une douloureuse tendresse, le pénétrèrent jusqu’au fond du cœur ; son âme se réveilla ; il tendit ses deux mains, prosterné, à genoux. – Graduellement la vision s’éclairait ; les épines s’allongèrent en rayons lumineux, et dans une ineffable splendeur, il vit la face divine et glorieuse se pencher sur lui, et une voix dit : « Celui qui vaincra s’assoira sur mon trône avec moi ; car moi aussi j’ai vaincu, et je suis assis à la droite de mon Père. »
Combien de temps Tom resta là, il ne le savait pas. Quand il revint à lui, le feu s’éteignait, ses haillons étaient trempés d’une rosée glaciale ; mais la redoutable crise était passée ; et dans la joie qui l’inondait, il ne sentait plus ni faim, ni froid, ni abjection, ni abandon, ni misère. Du plus profond de son âme, à partir de cette heure, il secoua tous les liens terrestres, se sépara de toutes les espérances de la vie présente, et offrit sa volonté propre en holocauste à l’Infini. Tom contempla, sur la voûte sans bornes, les silencieuses et immortelles étoiles, – imparfaites images des myriades d’êtres angéliques dont les regards s’abaissent sur l’homme ; et la nuit résonna des
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