La chambre du diable
Athelstan. Nous
ne pouvons rien faire de plus si ce n’est parler à Aspinall. L’affaire de
Vulpina, ajouta-t-il dans un murmure.
Sir John acquiesça et, suivi de Sir Maurice, quitta la
grand-salle. Le dominicain s’assit et dessina deux lignes parallèles sur un
morceau de parchemin.
– Vous semblez perplexe, remarqua Vamier d’un ton
amène.
– Le mal rôde ici, rétorqua lentement Athelstan. J’ai
raison de nommer cet endroit la Chambre du Diable.
– Je connais votre ordre en France, dit Gresnay. Mon
père a engagé un dominicain, un homme bienveillant, comme chantre. Ne
pouvez-vous rien faire pour nous, mon frère ?
Athelstan eut un geste de dénégation.
– Rien. Du moins pour le moment. Répondez-moi, à
présent, sur votre honneur. Oubliez que je suis anglais, ne considérez en moi
que le religieux. Avez-vous vu ou entendu quelque chose de suspect ?
Les trois hommes demeurèrent silencieux, puis, l’un
après l’autre, firent signe que non.
– Vous n’avez aperçu aucun de vos compagnons
assassinés en train de manger ou de boire quelque chose de spécial ?
Même geste de dénégation.
– Vous ont-ils dit quelque chose ?
– Mon père, précisa Maneil, nous nous sommes déjà
posé ces questions. Nous n’avons ni nourriture ni boisson dans nos chambres. Tout
vient des cuisines de Sir Walter, si piètre que ce soit.
– Fontanel vous apporte-t-il de la nourriture ?
– Jamais. Le gouverneur ne le permettrait pas.
Gresnay tendit un doigt menaçant.
– Sachez qu’hier matin nous avons juré
solennellement de ne rien avaler en cachette. Nous nous sommes aussi fouillés
mutuellement ainsi que les répugnants galetas qui nous servent de chambres. Nous
n’avons rien trouvé.
– En vérité ? s’étonna Athelstan.
– Mon frère, un assassin nous traque. Nous devons
nous protéger.
Le dominicain se leva.
– Quelque chose m’intrigue.
– Quoi donc ? interrogea Vamier.
– Routier s’est enfui ce matin. Il a escaladé le
mur du jardin, a traversé la cour, est passé par un appentis. Comment savait-il
quel chemin il devait prendre ? Comment savait-il que l’appentis serait
désert et le volet mal fermé ? Vous n’aviez pas l’autorisation d’aller
dans cette partie du château, n’est-ce pas ?
Ils firent tous trois non de la tête.
– Je vous souhaite une bonne journée, messires.
Athelstan sortit et fit le tour du jardin. Il observa
les parapets et réalisa que, si les gardes montraient peu de zèle, il devait
être facile de passer l’angle du mur et de monter sur le contrefort qui s’effritait.
Il s’exécuta et se laissa tomber de l’autre côté. La cour, ou baille, était
vide. Une légère brise soulevait de petits nuages de poussière. Une rangée d’appentis
en bois, sans doute destinés à l’emmagasinage, avait été construite le long du
mur d’enceinte. Athelstan traversa la cour et voulut y entrer. Les portes, pour
la plupart, étaient fermées. Il franchit celle qui était entrebâillée. À l’intérieur,
les murs étaient souillés et couverts de toiles d’araignée ; il régnait
une odeur de paille et de fumier de cheval. Dans le mur du fond, les volets de
la fenêtre étaient clos et barrés. Athelstan souleva la barre, ouvrit les
volets et contempla la lande écrasée de soleil. Il posa sa sacoche, grimpa, sauta
et se mit à marcher en suivant le chemin que Routier avait sans doute emprunté.
Il fit une pause et embrassa la campagne du regard. Au-dessus de sa tête, une
corneille volait en cercles en poussant de rauques croassements. Le prêtre constata
qu’il n’y avait pas de sentinelle sur la muraille du fond et que celles qui
gardaient les flancs avaient dû être non seulement négligentes mais aussi
distraites par la querelle feinte entre les prisonniers. Routier avait dû
courir vers le lointain bosquet. Et même si les gardes l’avaient aperçu, ils
auraient pu le prendre pour un colporteur ou un paysan, sans comprendre qu’un
de leurs captifs s’était évadé. Athelstan examina à nouveau la fenêtre dont les
volets étaient encore ouverts. Routier les avait sans nul doute fermés quand il
s’était enfui. Le dominicain scruta le ciel.
– Quelque chose ne va pas, dit-il entre ses dents.
Quelque chose que j’ai vu et ouï ; mais c’est toujours la même histoire :
les éléments d’une énigme à résoudre !
Il revint sur ses pas, repassa par la fenêtre, ferma
les volets derrière lui
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