La chambre du diable

ruelles, de
conter fleurette aux gueuses, de s’installer dans une auberge pour savourer un
ragoût de viande fraîche garni de légumes, une coupe de malvoisie ou du
meilleur clairet que produisait Bordeaux. L’estomac de Maneil fit entendre des
gargouillements de protestation. Il rouvrit les yeux et tambourina sur la table.
Reverrait-il Paris un jour ? Le St Sulpice et le St Denis avaient
été pris. Il s’était résigné à une sordide captivité prolongée chez les Anglois,
ces Anglois coés 11 ,
mais maintenant c’était devenu dangereux. Maneil jeta un coup d’œil à l’huis, par-dessus
son épaule. Comment diable Routier et Serriem avaient-ils été tués ? Il
était certain que ses deux compagnons avaient prêté grande attention à ce qu’ils
avalaient. Aucune nourriture n’était fournie en cachette. Sir Walter était un
avaricieux et la cuisine, comme la dépense, était sous bonne garde. Était-ce
donc lui le meurtrier ? Maneil se gratta le menton. Était-ce pour cela que
cette pauvre niaise de Lucy était morte ? Avait-elle pénétré dans la
chambre de son père ? Ou quelqu’un d’autre y était-il entré ? Il
avait vu quelque chose ce matin, là, dans le jardin. Il se souvint de Routier
faisant les cent pas, puis il était parti pour regagner la grand-salle. On l’avait
suivi, il en était sûr, mais qui ?
    Maneil alla s’étendre sur son lit. Avant qu’il ne s’échappe
pour partir en mer, son père l’avait inscrit dans l’une des meilleures écoles ecclésiales
de Paris. Maneil se remémora comment on lui avait appris à rassembler les
preuves et à les passer au crible avant de tirer des conclusions. Si l’assassin
était l’un d’entre eux, il devait aussi être un espion à la solde des seigneurs
anglais. Mais cela semblait impossible. S’il y avait eu un félon payé par l’or
anglais chez les officiers français, pourquoi cet homme serait-il à présent un
assassin ? Maneil prit une profonde inspiration. Il connaissait les quatre
autres depuis des années et jamais n’avait vu ni ouï quelque chose de suspect. En
fait, ses compagnons avaient tous perdu des parents à cause des Anglais et s’étaient
avec ardeur engagés dans la sanglante bataille navale. Alors, s’il n’y avait
pas d’espion, pourquoi l’un d’entre eux se transformerait-il en tueur à présent ?
Maneil revit Routier, assis à table et déjeunant. Il s’était élevé contre sa
tentative d’évasion. Routier, cependant, avait chuchoté qu’il ne pouvait plus
supporter Hawkmere : qu’il lui fallait s’évader sinon il perdrait l’esprit
comme la fille de Limbright. Il avait refusé d’écouter Maneil. Il avait avalé
son pain et bu la bière procurée par le gouverneur. Maneil ne l’avait pas
quitté pendant tout ce temps. Il était vrai que Gresnay avait gardé un peu de
son repas pour que Routier l’emporte. Mais cela avait été un geste spontané et
Gresnay avait lui-même consommé du pain et de la viande. Ils avaient ensuite
quitté la grand-salle pour se rendre dans le jardin. Routier ne les avait
laissés seuls que lorsqu’il était retourné au château.
    Maneil entendit frapper à l’huis.
    – Qui va là ?
    Un autre coup. Maneil soupira et sauta du lit. Il tira le verrou, ouvrit la
porte et le carreau d’arbalète l’atteignit en pleine gorge.

CHAPITRE XIII
             Athelstan
fouillait toujours le jardin ; Sir John s’octroyait un petit
rafraîchissement sous la tonnelle en s’épongeant le front et Sir Maurice était
ailleurs, quand Simon Gismond, capitaine des gardes de Sir Walter Limbright, surgit
en appelant à grands cris le coroner.
    – Qu’y a-t-il ? s’enquit ce dernier, courroucé.
    – Messire le coroner, l’un des prisonniers est
mort.
    – Empoisonné ? questionna Athelstan.
    – C’est tout comme. Un carreau d’arbalète dans la
gorge. Le corps est encore chaud. Vous devriez venir voir par vous-mêmes.
    Ils le suivirent dans le manoir et rencontrèrent Sir
Maurice dans l’escalier. Ils remontèrent tous trois à la suite de Gismond la
galerie poussiéreuse et délabrée. La porte de la pièce était ouverte. Maneil
gisait sur le dos, les bras écartés, la tête un peu de côté. Le devant de son
justaucorps était trempé par le sang qui, en jaillissant, avait formé une
flaque rouge foncé autour de son crâne. Un soldat, près de la fenêtre, observait
les environs.
    – Qui a découvert le cadavre ? interrogea