La chambre maudite
brûlure fumante.
Huc se recula en hurlant sous la douleur et la surprise. François en profita pour lui enfoncer le fer dans la poitrine. Huc tomba à genoux, l’œil noir, essoufflé. François saisit sa chevelure à pleine main et lui redressa le visage. Il était étonnamment calme.
– Tu ne mourras pas, Huc de la Faye. Tu vas continuer à me servir en sachant cela, chaque jour. Si tu me désobéis encore une seule fois, elle m’appartiendra, tu entends, ensuite je la marquerai comme toi pour que la région entière s’en souvienne.
D’un geste brusque, il arracha la pointe couverte de sang et la jeta sur les charbons ardents. Ensuite, il s’en fut ouvrir la porte.
– Hors d’ici à présent. Je n’ai pas ta mansuétude, Huc de la Faye, on te soignera aux communs. Ils savent tous pourquoi tu as été puni. Ah, j’oubliais, fais-moi envoyer Romane.
Huc se releva péniblement en toussant et en crachant du sang. S’agrippant au chambranle de la porte, il s’offrit le luxe de toiser son bourreau d’un regard de haine, puis descendit l’escalier en titubant, une main plaquée sur sa poitrine percée.
Dame Clothilde ne posa aucune question en le voyant paraître, et Huc comprit tout le sens des paroles de François. Tous savaient sa liaison avec Antoinette. Dire qu’il s’était imaginé discret…
François était une fine lame. Il avait piqué où il fallait pour le mettre hors de combat sans toucher aucun organe vital. Huc se sentit misérable. Il avait sous-estimé son maître. François avait toujours su. Tout. Il lisait en lui, en eux tous, comme en un livre ouvert. Fallait-il qu’il soit pervers pour avoir ainsi joué depuis tant d’années de leur confiance ! Albérie avait raison mille fois. Ce n’était pas un homme, même pas un animal. A l’inverse de sa femme dont le sang mêlé portait une marque infâme, lui était une bête. Une ignoble et répugnante bête.
La petite Romane gravit l’escalier, l’air contente. Elle était la préférée du seigneur et s’en trouvait bien aise du haut de ses dix-sept ans. Huc eut pourtant le sentiment de l’envoyer à l’abattoir. Désespérément las de sa servitude, il laissa Clothilde panser sa plaie sans desserrer les dents.
Le soir même ils revenaient à Montguerlhe, comme si rien ne s’était passé. Seule la marque croustelevée 1 trahissait l’allégeance du prévôt à son maître, et Huc en fut pesneux malgré lui lorsque son épouse le serra dans ses bras avec sincérité.
Il n’eut pas le courage de lui révéler la menace de François, il se contenta de l’assurer de sa mansuétude. Albérie avait changé. C’était une autre transformation que celle qui l’avilissait chaque pleine lune. Elle se trahissait dans son regard, dans ses épaules qu’elle ne voûtait plus lorsque son époux la regardait. Cette nuit-là, elle se coucha nue contre lui et, malgré leurs blessures respectives, ils s’étreignirent tendrement sans cependant faire l’amour.
Elle s’apercevait brusquement qu’elle n’avait cessé d’attendre et de rêver ce moment. C’était comme une révélation, la certitude sans doute stupide qu’on avait définitivement dompté l’animal en elle. Pour la première fois de sa triste existence, elle n’était plus qu’une femme. Seulement une femme. Et son époux qu’elle avait cru perdu souriait de la serrer contre lui.
– Sauras-tu me pardonner tout ce temps perdu ? lui demanda-t-elle, sûre désormais de sa réponse.
1 Couvert de croûtes
– Il m’était nécessaire aussi pour mieux t’aimer aujourd’hui. Quoi que je fasse désormais, Albérie, sache que ce sera pour toi seule et pour ton bonheur que j’agirai, affirma-t-il.
Elle s’en grisa. Les siens l’avaient chassée, mais ce soir cela n’avait plus d’importance. Peut-être devait-il en être ainsi. Les loups n’étaient plus sa famille, Loraline ne l’avait sans doute jamais été, mais elle comprenait son bonheur. Elle ne gênerait plus Philippus et sa nièce, elle se promit de sortir de leurs vies jusqu’au printemps.
Ensuite, tout serait à refaire. Elle l’avait promis à Isabeau, et l’incident d’aujourd’hui la confortait dans sa résolution. Puisqu’elle n’avait plus à craindre de perdre son époux au profit de sa rivale, alors François de Chazeron mourrait, dès qu’avec les beaux jours elle reconduirait Philippus aux portes de l’Auvergne. Ensuite seulement elle serait libre
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