La chambre maudite
d’aimer sans avoir peur. Elle soupira d’aise et s’endormit. Huc s’en attendrit à plaisir puis se laissa glisser à son tour en étouffant une quinte de toux.
La menace de François planait au-dessus de son bonheur neuf, mais ce soir il n’en avait cure. Il avait malgré tout remporté une victoire. Il n’avait plus à faire semblant désormais. François avait raison. Pour protéger son épouse, il était prêt à tout. Même à tuer.
Quelques jours plus tard, François s’en retourna à Vollore, avec ses malles cette fois. Lorsqu’Antoinette insista pour rester à Montguerlhe en raison de son gros ventre, des travaux en cours, du manque de chauffage et de confort, il ne la contraria pas. Il se contenta d’un regard de biais vers Huc qui signifiait trop que, quoi qu’il advienne, il serait informé.
Le seigneur de Vollore avait récupéré sa santé, son orgueil, son cynisme, sa cruauté et son droit. Il partit dans l’hiver au mépris de Noël qui approchait, pour ne pas souffrir les miséreux réfugiés à Montguerlhe, pour se retrouver seul face à l’athanor et à ses recherches. Et tous, dans la forteresse dressée comme un rempart entre son ignominie et leur haine, oui, tous s’en sentirent soulagés.
– Il vous faut me pardonner, dame Antoinette, insista Huc en s’inclinant devant elle.
Elle l’avait fait mander en sa chambre dès que son époux avait franchi la herse pour lui sauter au cou et retrouver sa caresse, pour savoir aussi la raison de cette vilaine marque sur son visage. Le bruit avait couru d’une punition. Elle avait craint que ce soit à cause d’elle, mais le fait que son époux ne l’affligeât point à son tour le démentait. Elle avait appelé son amant. Mais Huc ne s’était pas rendu chez elle. Il avait envoyé un page porteur d’un laconique message : « Je vous verrai, ma dame, mais point en vos appartements. »
Ils étaient donc seuls ainsi qu’elle le souhaitait, mais dans la salle d’armes où elle l’avait rejoint sitôt le déjeuner pris. Elle s’était élancée vers lui après avoir barré la porte, mais, au lieu du fougueux baiser qu’elle avait espéré, il l’avait embrassée sur le front en repoussant élégamment son étreinte.
– S’il me faut vous pardonner, alors c’est que j’ai tout à craindre, n’est-ce pas, mon cher Huc ?
Elle se serait volontiers écroulée sur une chaise, mais la pièce était désespérément vide, si l’on exceptait les présentoirs de bois où arbalètes, flèches, massues hérissées de pointes et autres armes se trouvaient accrochées, garnissant chaque mur d’un triste habit guerrier.
– Je vous écoute, Huc. Votre épouse affiche un visage rayonnant que je lui ignorais, alors que j’ai perdu le mien. Pourquoi ai-je le sentiment que ce n’est nulle coïncidence ?
– Parce qu’à vous je ne saurais mentir, dame Antoinette. Je vous aime il est vrai, vous le savez dans mon regard, dans cet émoi que vous inspirez à chacun de mes souffles, et cependant j’aime mon épouse, aussi curieux que cela puisse vous sembler. Mon cœur sincère ne peut souffrir de vous abuser l’une et l’autre. Il me faut choisir. Or vous avez un époux, ma dame, et cet époux est mon maître.
– Cela ne vous gênait point tantôt, objecta-t-elle, blessée.
– J’ai voulu croire, ma dame, au bonheur que vous m’offriez. La réponse en est cette marque à mon front. Que je le veuille ou non, ce n’est pas à vous, hélas, que j’appartiens.
Antoinette blêmit.
– Sait-il ?
– Le doute, ma dame, est plus pernicieux et dangereux qu’une certitude. Il m’a rappelé lequel de vous deux je devais servir, ce n’est pas sans raison. Je crains pour vous, mon aimée, davantage que pour moi. Tant que vous porterez l’enfant, il voudra ignorer la rumeur. Si elle enfle et ne dément point ses craintes, lorsqu’il aura cet héritier, vous ne serez à ses yeux qu’un argument de déshonneur.
– La mort me serait une alliée plus douce que le tourment de vivre sans vous.
– Croyez-vous qu’il m’épargnerait ? Epargnerait les miens ? Ma décision est prise. Je ne donnerai pas à votre époux les arguments de nos pertes. Vous aurez un enfant, ma dame. Reportez sur lui cet amour dont je me nourris encore aujourd’hui. Il en est bien plus digne. Chérissez-le comme celui que je n’aurai jamais, comme s’il était le mien. Je vous aimerai pour ma part à travers lui, au nom
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