La chambre maudite
m’accompagnes avec quelques hommes.
– Vous serez déçu de la visite. A cause du froid les travaux stagnent. J’ai rarement connu hiver plus rigoureux.
– Assez, Huc ! Mon entrain n’a nul plaisir à souffrir ces nouvelles. Nous partons sur l’heure. J’ai déjà donné mes ordres tandis que tu paressais avec ton épouse.
Huc baissa le museau, gêné malgré lui :
– Allons, ne rougis pas. Tout me parvient dans cette demeure, que cela me plaise ou m’attriste. Ta femme est jeune et de belle constitution, tu as raison de l’honorer.
Huc se sentit mal à l’aise. Derrière l’apparente bonhomie de François, il percevait une ironie amère. Il avait été discret auprès d’Antoinette, et cependant Albérie avait compris leur manège. Pouvait-il en être de même avec François ?
Lui passant un bras autour de l’épaule, François l’entraîna au seuil de la chambre.
– J’ai grand faim de jouvencelle à mon tour, et il est à Vollore une petite bien aguichante dont je me repaîtrai à plaisir dès lors que nous y aurons réglé certaine méchante affaire… Apprête-toi avec tes hommes, Huc. Nous partons.
Le ton était sec, autoritaire. Huc se força au calme et repartit en souriant :
– Je suis à vos ordres, messire.
Cette fois, résolument, il gagna la chambre de son épouse, le cœur battant la chamade. Elle dormait encore, paisible. Jamais il ne l’avait vue plus sereine et plus femme. Il l’éveilla pourtant :
– Huc, gémit-elle en glissant spontanément ses bras autour de son cou.
Il l’embrassa chastement sur le front en se dégageant. Il avait peu de temps.
– Je t’aime, Albérie, de toute mon âme, et cette nuit a été pour moi la plus belle de toutes, mais j’ai grand peur. Je dois accompagner François à Vollore et mon instinct me dit qu’il sait ma liaison avec Antoinette.
Albérie blêmit et froissa le drap sur sa poitrine blanche.
– Je ne reviendrai peut-être pas de Vollore, mais je ne subirai pas son châtiment sans me battre. J’ai peur qu’il s’en prenne à toi. Si je devais ne pas ressurgir, fuis. Et souviens-toi toujours de mon attachement.
– Ne le brave pas, Huc. Fuyons ensemble, maintenant, supplia-t-elle, les larmes aux yeux. Je ne peux imaginer le pire, pas après cette nuit. Je t’en prie.
– Non, il y a bien trop longtemps que j’attends ce moment, tout en redoutant qu’il vienne. Je suis plus fort que lui. Et je suis sûr de mes hommes. Guette mon retour. Et protège-toi, mon amour.
Il l’embrassa éperdument. Ses lèvres avaient un goût de larmes comme cette nuit lorsqu’elle s’était rendue à son plaisir, mais elles ne lui laisseraient cette fois qu’un sentiment de douleur. Il se détacha d’elle. Refusant d’entendre ses sanglots, il s’empara de son mantel et sortit.
L’instant d’après, il s’enfonçait sous le portique de pierre avec quatre hommes et François de Chazeron.
13
Ce 20 novembre 1515, François referma derrière lui la porte de son antre d’alchimiste et Huc se sentit pris au piège. Il avait obéi pourtant à l’injonction de son maître de pénétrer dans la pièce interdite. Les traces de l’explosion étaient encore visibles sur le mur de droite, mais l’athanor était intact de nouveau et froid.
– T’es-tu jamais demandé ce que je pouvais rechercher ici, Huc ? commença François en fourrant dans sa poche la clé dont il venait de se servir pour boucler la serrure.
Durant tout le trajet, Huc était resté silencieux, d’une part parce que le froid intense gelait leur souffle au point qu’ils avaient cheminé capuchon rabattu et enroulés dans d’épaisses écharpes, et d’autre part parce que cela lui avait donné le temps de se préparer à l’affrontement. En homme d’armes, il savait se battre, mais aussi organiser sa défense. François était vif, intelligent. Il avait choisi de le laisser venir.
– Cette fameuse pierre philosophale, je suppose, répondit-il sans détour.
– Certes, certes, mais plus encore que cela.
François s’approcha du four et l’alluma. Un grondement sourd s’empara des braises, rougissant le foyer. Il faisait presque aussi froid dans la pièce qu’à l’extérieur, et par la cheminée éteinte descendait un vent glacial. Huc s’approcha sans hésiter des flammes qui réchauffaient le charbon, mains croisées dans le dos. François activa le feu à l’aide d’une pique de fer au manche de
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