La chambre maudite
apprendre davantage, ajoutant qu’il n’admettrait plus aucun exorciste dans les environs.
Quelques semaines plus tard, il faisait don à l’abbé du Moutier d’une somme importante pour sa nouvelle chapelle, en mémoire, affirma-t-il, de ceux qui avaient péri des griffes de la bête.
Avec l’arrivée du nouveau siècle, François de Chazeron s’isola dans un mutisme sordide, se désintéressant plus que jamais de ses terres et de ses gens. Il passait son temps enfermé, ne sortant que pour se rendre à Clermont ou à la cour du roi où sa famille avait eu longtemps ses entrées. Nul ne savait ce qu’il concevait dans sa tour ni pourquoi d’étranges fumées nauséabondes piquaient le nez parfois au petit jour. Il recevait quelquefois d’étranges personnages qui voilaient leur identité sous un capuchon large et ne s’attardaient pas plus d’une huitaine.
Huc avait renoncé à lui rendre des comptes et administrait la contrée autant qu’il le pouvait avec l’aide de l’abbé Guillaume de Montboissier. Deux ou trois fois l’an des enfants disparaissaient, sans que l’on parvienne à en retrouver trace. L’abbé du Moutier alléguait que les montagnes thiernoises étaient traîtresses pour ceux qui s’aventuraient dans leurs forêts, devenant une proie facile pour les loups, qu’il ne fallait pas chercher d’autres explications, et que fréquemment par le passé des faits de ce genre s’étaient produits. Mais Huc n’était pas convaincu. Des rumeurs circulaient parmi les paysans. Des rumeurs prétendant que François faisait commerce avec le diable et qu’il lui offrait leurs enfants en sacrifice. Le prévôt avait du mal à croire à ces superstitions de manants, et cependant quelque chose d’indéfinissable le mettait mal à l’aise chaque fois que son regard effleurait la haute muraille de la tour de Vollore, cette tour fermée à clé dans laquelle son seigneur se terrait.
Il avait fini par rire de ses peurs immatures et ne plus s’occuper que d’Albérie. La contrée était la plupart du temps paisible et le quotidien s’y déroulait sans faillir, au point d’avoir fait oublier la légende du garou.
Et puis ces odieux crimes avaient recommencé. Trois années tout juste après le drame, sur le chemin qui menait à Montguerlhe, une nuit de pleine lune, le lendemain de la mort de Guillaume de Montboissier. Puis la lune suivante, au point que Huc n’avait pu fermer l’œil celle d’après. Albérie venait d’avoir quatorze ans. Huc lui avait offert un bracelet d’argent tressé pour lui montrer son attachement, assorti d’une belle part de tarte aux noisettes. Elle l’avait étrangement jaugé, comme si, derrière sa froide apparence, c’était une autre qui s’enflammait. Elle avait plissé les paupières puis l’avait remercié sobrement avant de tourner les talons, le plantant là, à mi-chemin entre le désir de lui montrer sa tendresse et celui de s’effacer.
Il n’aurait su dire si elle lui avait seulement pardonné ses coups sur l’échine de son père, alors même que lui se les reprochait encore. Il ne comprenait pas davantage qu’hier pourquoi Armand Leterrier y avait succombé. C’était un homme massif et robuste que les travaux pénibles n’effrayaient pas, et lui-même avait retenu son bras autant qu’il pouvait. Comment expliquer à Albérie qu’il n’avait pas voulu la mort de son père, mais seulement obéir à son seigneur de peur d’être châtié à son tour ? Il n’avait pas trouvé les mots. Il avait renoncé, se disant que le temps ferait son œuvre et qu’alors peut-être, s’il l’entourait d’amour, elle parviendrait à oublier. Mais l’enfant n’avait pas oublié. Elle s’était murée dans le silence, s’acquittant des tâches qu’on lui confiait en cuisine, se montrant peu en salle commune où les gardes la taquinaient gentiment pour ne pas risquer de lui déplaire à lui, leur prévôt. Elle n’avait pas revu François de Chazeron, pas demandé si l’on avait retrouvé Isabeau ou sa grand-mère. Seul son regard parlait lorsqu’il croisait le sien, et Huc détournait la tête car, à ce pourquoi permanent, il n’aurait pu répondre que par sa propre colère, son propre ressentiment envers son maître.
Alors, pour la protéger elle aussi de la prétendue bête, il avait décidé d’en finir avec la rumeur qui s’amplifiait alentour, de découvrir la vérité. Il s’était glissé au-dehors, couvert d’un mantel
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