La chambre maudite
n’ai connu de l’amour que la bestialité et les coups d’un être qui m’a volé le bonheur et la vie. C’était il y a quinze ans. J’ai fini mon deuil. Grâce à vous, cette dernière semaine, j’ai eu le sentiment que le passé était désormais derrière moi. Il me laisse en paix. Vous offrez de me respecter, messire, c’est bien plus que je n’en désirais. J’ignore si j’aurais été capable de goûter aux plaisirs de la chair avec vous ce jourd’hui, mais sachez que j’aurais consenti à essayer, parce que je vous aime, comme, je crois, je n’ai jamais aimé.
Elle glissa doucement jusqu’à lui et laissa son visage se nicher contre sa poitrine. Il la garda tendrement ainsi quelques secondes, puis chercha son front du bout de ses lèvres, glissa ses doigts dans son cou, sous le col d’hermine, et finit par s’emparer de sa bouche avec une passion telle qu’elle les embrasa tous deux.
Puis une fois encore il se dégagea de son étreinte.
– Je reviendrai dès que possible, douce Isabelle. Je vous réapprendrai l’amour. J’obéirai à vos limites, vous m’enseignerez les miennes. Par Dieu, je jure que je n’aurai de cesse de réparer ce que ce fou a détruit. Mais auparavant il me faut savoir son nom. Quel qu’il soit, c’est un homme mort.
– Ne vous souciez plus de lui. Le destin m’a vengée. Je vous l’ai dit, messire. Désormais je suis libre, libre de vous aimer.
Il éclata d’un rire joyeux en couvrant de baisers légers ce visage qui souriait dans la pénombre, puis, mû par une idée soudaine, il lança, guilleret, au laquais :
– Au palais royal.
Isabeau arrondit sa bouche de surprise :
– Mais…
– Connaissez-vous la reine Claude, Isabelle ?
– Non point, je…
– C’est l’épouse de notre bon roi François. Elle administre le royaume tandis qu’il guerroie en Italie, et jusqu’à son retour. Le palais de la Cité est un peu triste à cette période, la Cour se pressant autour de son roi, mais j’aurai plaisir à ce qu’on vous y voie à mon bras. Vous devrez sans doute soutenir le mépris de certaines de mes anciennes maîtresses, mais cela ne doit pas vous effrayer. Je ne veux pas vous cacher, Isabelle, vous me rendez heureux.
– Je ne suis pas sûre d’être prête à rencontrer ces gens, messire, objecta Isabeau que cette lubie effrayait un peu.
– A mes côtés vous n’avez rien à craindre, croyez-moi. Ayez confiance en moi.
– Soit, si vous jugez que cela est nécessaire.
– Je sais lire entre les mots, Isabelle. Je sais ce qui se cache derrière un droit de cuissage. Le titre de noblesse qui vous fait défaut, c’est en paraissant à mes côtés que vous le légitimerez. Lors nul ne songera plus à chercher le secret de vos origines, si je vous présente à la reine telle que je vous vois.
Isabeau hocha la tête en silence. Elle était touchée par son geste, car elle en mesurait la portée. Elle changea de place et vint s’asseoir à ses côtés, tout contre lui. Lorsqu’il referma avec douceur ses bras autour de ses épaules, elle laissa tomber sa tête contre la sienne.
Oui, elle en était certaine désormais. La page était tournée !
15
C’était comme si l’hiver avait suspendu son souffle au seuil du long boyau qui menait de la forêt vers la salle souterraine, comme si chaque instant semblait être tout à la fois le premier et le dernier. Une parenthèse douce et chaude loin de la morsure des bourrasques successives de neige ou de pluie.
Les loups ne quittaient l’abri que le soir, s’aventurant près des passages de cerfs et de chevreuils selon un rite immuable. Ils revenaient pourtant souvent le ventre vide.
– Jamais je n’ai connu d’hiver plus rude, affirmait Loraline lorsqu’elle réapparaissait après une maigre chasse, accompagnée de Cythar, un chapelet d’oiseaux morts, transpercés d’un fil, à sa ceinture.
Elle en trouvait souvent gelés au pied des arbres, de même que des petits rongeurs maigrichons que la disette avait tués. Tous deux partageaient alors leur mangeaille avec les bêtes.
Philippus s’en émerveillait. Chaque jour, selon le même rituel, elle les appelait d’un son, attendait qu’ils s’installent en cercle autour d’elle, puis leur distribuait leur part sans qu’aucun se batte ou exige davantage. Elle régnait sur la horde, et Philippus y voyait quelque chose de magique.
Dès qu’il avait pu marcher en s’aidant d’une
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