La chambre maudite
Chazeron en cet instant était devenu l’accusé. Un accusé qui ne parvenait à chasser l’insidieuse angoisse que ses actes monstrueux avaient suscitée :
– Je crains fort, mon fils, qu’en vérité ce soit bien Satan lui-même qui ait voulu vous narguer. N’avez-vous point sur la conscience quelque acte qui vous ait éloigné du Seigneur et de son pardon ? Quelque acte que vous ayez omis de verser en confession et pour lequel, comme en témoignent ces lignes de flammes, vous auriez abdiqué votre foi ? Si tel est le cas, seuls le repentir et le jeûne peuvent peut-être vous protéger ; à l’abri de nos prières, votre âme pourrait être sauvée. S’il n’est point déjà trop tard, ajouta-t-il, l’air désolé, se réjouissant secrètement du teint livide de François.
C’est alors que Huc de la Faye s’interposa :
– Quelle que soit la vérité, il faut la chercher avant de se hâter de conclure. Laissez-moi mener une enquête. Si l’on vous a joué un tour, je trouverai le coupable et le ferai châtier. Si tout cela est affaire démoniaque, alors nous enverrons un exorciste. Mais pour l’heure, vous êtes sauf, ce qui signifie qu’homme ou diable a raté son coup, à moins que tout cela n’ait été qu’un avertissement.
« Pauvre fol, songea Antoine de Colonges en coulant un regard apitoyé vers Huc. La vérité te détruirait avec ton maître… »
– Menez l’affaire comme il vous semblera, prévôt, lança Antoine en étirant ses lèvres minces, mais songez que le diable est depuis longtemps en cette demeure où pèse sa malédiction, et qu’un garou autrefois égorgea l’exorciste venu le renvoyer aux enfers. Il est à mon sens des mystères qu’il vaut mieux endormir par la prière que par trop d’importance…
Huc le dévisagea, les yeux ronds. En un instant, il venait de saisir le sens caché de cette anodine sentence et l’évidence le transperçait. Albérie. Albérie était derrière tout cela. Comment, il n’aurait su le dire, mais l’allusion au garou était claire. Antoine de Colonges savait quelque chose qu’il ignorait…
Indifférent à leurs états d’âme et à leur langage codé, François de Chazeron avait du mal à reprendre pied dans une réalité fantomatique. La proposition du prévôt le satisfaisait car elle rationalisait les faits. Mais devant ses yeux défilaient les visages tuméfiés des enfants qu’il avait égorgés en offrande au Malin dans le seul but d’obtenir la pierre philosophale. Il entendait leurs cris quand il ouvrait leurs entrailles pour en arracher le cœur, avant de le plonger battant encore dans des solutions de plomb et de soufre. Combien de fois s’était-il moqué des grands maîtres qui lui avaient enseigné que le Grand Œuvre n’était pas la transmutation des métaux, mais celle de l’être lui-même en une âme parfaite. Il savait qu’ils mentaient. Tous. Ne cherchant qu’à décourager les imbéciles.
Seul un prêtre noir l’avait conduit dans ses recherches en pratiquant des messes sataniques, en lui ouvrant les véritables portes des vérités premières. Il découvrirait l’alkaheist, le solvant absolu, la pierre de guérison et de pouvoir. Il n’avait pas de raison d’avoir peur. Satan était son maître. 11 le savait depuis longtemps. On lui avait rappelé simplement qu’il y avait trop de temps qu’il ne l’avait pas servi, tout en lui révélant qu’il était dans le vrai.
La pierre philosophale n’était pas qu’un leurre, elle avait un prix. Rasséréné par le cheminement de sa pensée, il leva sur les deux hommes un œil glacé :
– Je ferai jeûne et pénitence, mon père, tant que je n’aurai pas reconstruit ce que l’explosion a détruit ; vos prières seront utiles pour écarter le Malin de cette demeure. J’ignore ce qui l’a attiré mais je ne le crains pas. Mon âme est pure, l’abbé, et si c’est elle qu’il tentait de dérober, il a échoué. L’affaire est close. Je veux l’oublier.
Il se tourna vers Huc qui, somme toute, se trouvait fort aise des propos de son maître depuis qu’il supposait Albérie au fait de cette intrigue :
– Fais mander sur-le-champ deux maçons de confiance. Nous séjournerons à Vollore trois journées pour régler les plans d’agrandissement du château avec l’architecte de Thiers que j’ai envoyé quérir tantôt. Je ne veux pas que mon épouse reparte insatisfaite. Tu t’occuperas donc avec elle de ses désirs
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