La chambre maudite
quelques semaines plus tôt, avec Béryl, ils avaient exposé à François la situation de l’après-tempête. François s’était rassasié le ventre certes, mais pas l’esprit. Sa première question avait été brutale :
– Lequel d’entre vous a la clé ?
Pour seule réponse, Huc l’avait sortie de sa poche et poussée sur la table au-devant de son maître. Ils étaient attablés en silence. Seule Clothilde montrait un tic nerveux à son œil bigarré de couleur sombre, trahissant sa crainte. Elle s’était assise entre Huc et l’abbé du Moutier en songeant que, si le maître voulait encore la rosser, ceux-là s’interposeraient sûrement. Quant à Antoinette, que Huc évitait de regarder, elle paraissait absente, comme si tout cela ne la concernait pas.
Elle affichait un visage serein, presque léger, que certains auraient pu mettre sans doute sur le compte de la guérison de son époux. Certains, mais pas Antoine de Colonges, ni Huc qui, en cet instant, se sentait plus mal à l’aise qu’il ne l’avait jamais été. Il savait que l’abbé ne dirait rien, mais il s’en voulait terriblement d’avoir cédé à sa pulsion. Un instant, il pensa combien il avait changé lui aussi en quinze années. Autrefois, il culbutait sans vergogne toutes les jouvencelles à son goût. Il avait une réputation qui le précédait, de telle sorte qu’il n’avait souvent qu’à tendre une main pour que les fruits les plus somptueux viennent s’y poser. Depuis qu’il avait épousé Albérie, il vivait comme un moine, alors qu’elle n’exigeait rien. Aujourd’hui, il ne pouvait s’empêcher, malgré le lieu et la menace pesant au-dessus de leurs têtes, de se demander pourquoi il s’était ainsi replié sur lui-même. Avait-il eu peur, à son insu, d’en arriver, dans les jupons d’une autre, à perdre l’amour qu’il éprouvait pour son épouse ? Ou avait-il cherché, par cette chasteté, à se rapprocher d’elle pour qu’elle finisse par comprendre combien il lui était dévoué ? Il n’avait pas de réponse, mais savait que quelque chose avait changé même s’il ignorait quoi ; quelque chose qui l’avait poussé vers la seule femme qu’il eût dû éviter. Le désir qu’il avait d’Antoinette était plus fort qu’un simple besoin d’attouchement sexuel.
– Es-tu entré ?
Huc avait entendu la question sans comprendre qu’elle s’adressait à lui. Lorsqu’il reprit ses esprits, François roulait des yeux furieux de l’un à l’autre. Il les avait fait installer face à lui et se posait en juge dans ce tribunal qui à l’origine n’en était pas un. Pourtant tous se comportaient en coupables, et l’idée que quelque chose lui échappait le rendait fou.
Huc se secoua.
– Il fallait que quelqu’un vous portât secours. Je l’ai fait.
– Comment ? insista François.
Huc mentit. Il ne voulait pas mettre en danger Guillaumet même s’il se rendait compte que François finirait par entendre la vérité.
– En passant par la croisée et en vous dégageant. J’ai refermé avec soin la porte derrière moi.
– Qu’as-tu vu ?
– Rien, messire. Rien qui me concerne. A moins que vous souhaitiez qu’au titre de prévôt j’établisse un rapport précis et détaillé.
– Inutile, répliqua François qui ne tenait vraisemblablement pas à laisser une quelconque trace de cet incident.
– Et vous, ma femme, êtes-vous entrée alors que cela vous était interdit ?
– Non point, mon mari. Vos affaires m’importent peu, vous le savez, répondit Antoinette avec sincérité. Toutefois j’aimerais apprendre de votre bouche ce qui provoqua tel désastre et entendre la promesse que, quelles que soient vos activités, vous y renoncerez si elles doivent me priver de votre présence.
« Comme elle ment bien ! se dit Huc malgré lui en percevant pourtant à quel point son ton avait changé. Elle le nargue et il paraît ne rien voir. » Huc sentit son échine se raidir. « Elle n’a pas conscience du véritable danger. »
Avant que François ait pu répondre, il s’interposa :
– J’ai découragé dame Antoinette de vous porter secours, messire, bien qu’elle ait insisté tant son inquiétude était intense. Il me semble que cette affaire ne la concerne pas, et qu’il serait bon de la laisser, de même que dame Clothilde, en dehors de tout cela.
Si Clothilde en retour lui coula un regard empli de gratitude, Antoinette se contenta de
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