La chambre maudite
superposa au sien dans le miroir. Son cœur se pinça. Elle lui aurait plu ainsi, elle le savait, mais il était temps pour elle de tourner la page.
Elle n’avait aucune nouvelle de Montguerlhe. Elle refusait l’idée que Loraline puisse lui manquer, comme elle refusait depuis sa naissance l’idée qu’elle était sa fille. L’Auvergne était loin. Probablement enfouie sous la neige et le froid puisque ici, à Paris, il en était de même. Pour rien au monde elle n’aurait voulu retourner là-bas. Quoi qu’il advienne, elle était Isabelle. Isabelle de Saint-Chamond, d’où son arrière-grand-mère était originaire.
Lorsqu’elle franchit la porte de la boutique après avoir jeté sur ses épaules la pelisse d’hermine qui recouvrait son mantel, les regards des badauds convergèrent vers elle. Elle planta ses yeux verts devant elle et s’avança d’un pas léger, Bertille sur ses talons, escortée d’un valet qui portait ses emplettes.
L’après-midi suivant, elle était présentée à dame Rudégonde dans une boutique à l’enseigne du Fil du roi, rue de la Lingerie. Rudégonde était une personne joviale et rondouillette, au sourire éclatant de franchise et de chaleur humaine. Le père Boussart avait assuré Isabeau que sous cette apparence se cachait avant tout une opportuniste. En seulement trois années, celle qui avait eu pour amant le fort honorable messire de La Palice avait acquis pignon sur rue et confectionnait les tenues les plus soignées pour les grands du royaume. Sa fortune et sa renommée grossissant, elle avait fait de même jusqu’à lasser le courageux La Palice. Le nouveau maréchal de France, investi de sa charge par le jeune François I er en janvier de cette même année, s’en était retourné à ses amours volages qu’un physique séduisant attirait sans faillir. Rudégonde ne lui en avait pas gardé rancune, mais plutôt une infinie reconnaissance pour le statut privilégié qu’elle arborait désormais, de sorte que non seulement ils étaient bons amis mais qu’il lui envoyait régulièrement ses conquêtes à habiller.
Rudégonde s’enchanta de sa nouvelle recrue et entreprit de lui donner les dernières nouvelles de la Cour afin qu’elle puisse au mieux répondre aux questions que ces damoiselles et damoiseaux ne tarderaient pas à lui poser. De fait, le roi François s’était installé début octobre à Pavie, où il avait fait la connaissance de Léonard de Vinci, cet artiste prodigieux qui s’était sans attendre mis à son service. Il avait reçu là-bas de nombreux ambassadeurs, en particulier ceux du pape qui craignait que la victoire de Marignan n’ouvre à François I er des prétentions illégitimes sur Rome. Pour y remédier, Sa Sainteté Léon X avait conclu avec le roi de France un traité les engageant tous deux à une mutuelle assistance. François promit de défendre Florence et d’y maintenir les Médicis, Léon X affirma qu’il lui donnerait son appui afin qu’il conserve le Milanais. En outre, il lui offrit Parme et Plaisance.
Une épidémie s’étant déclarée à Pavie, le roi s’avançait pour l’heure vers Bologne, après avoir délégué le chancelier Antoine Duprat afin qu’il organise le duché du Milanais pour l’intégrer au royaume de France.
Isabeau écouta tout cela avec attention. Trop occupée à sa propre subsistance, elle s’était moquée jusqu’alors du devenir de la France et n’avait su la mort de Louis XII que parce qu’Albérie la lui avait annoncée. De sorte que tous ces noms virevoltaient autour d’elle sans qu’elle puisse avouer qu’elle ne les connaissait pas. Elle était émerveillée de voir à quel point Rudégonde était au fait de l’actualité alors même que celle-ci se passait en Italie, si loin d’elle.
Comme elle osait l’interroger à ce sujet, Rudégonde la conduisit dans l’arrière-boutique encombrée d’épais rouleaux d’étoffes chatoyantes, de fils d’or et d’argent. Deux jeunettes s’activaient à coudre, une troisième brodait sous de larges fenêtres.
Rudégonde la présenta à Ameline, Blanche et Françoise, insistant sur le fait qu’elle les rejoindrait dès le lendemain pour apprendre le métier, puis, franchissant une porte, elle l’entraîna dans la cour. Au fond, un colombier de pierre renfermait une bonne vingtaine de volatiles.
– Voici mon secret, affirma Rudégonde. Je corresponds régulièrement avec messire de La Palice. De sorte que je suis
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