La chambre maudite
battements de son cœur s’apaiser. La gitane entonna d’un timbre sensuel et rassurant une comptine dont Isabeau ne comprit pas les paroles, mais qui lui renvoyait des images lointaines. Elle revit le visage de sa grand-mère penché au-dessus du sien, ses longs doigts qui froissaient sa chevelure rebelle quand, enfant, elle se laissait apprivoiser. Elle se souvint de cette berceuse qui faisait s’envoler ses tourments, de ces instants uniques où, sur les genoux déjà usés, elle glissait son pouce dans sa bouche avant de s’endormir. Cette berceuse qu’à Loraline aussi elle avait fredonnée.
Peu à peu, ses peurs irraisonnées cessèrent de trouver un écho imaginaire. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, calme cette fois, la gitane souriait, avenante et maternelle.
– Où suisse ? demanda-t-elle.
– Dans la chambre du roi, affirma Lilvia. Avec la grande salle que tu as vue, ce sont nos caches sous l’église. Les gueux sont bien marris, ils ne voulaient pas t’effrayer, mais te souhaiter la bienvenue. Ecoute ! ajouta-t-elle.
Isabeau tendit l’oreille, mais seul le silence répondit à son attente.
– Je n’entends rien.
– Justement. Ils sont aux aguets, c’est pourquoi ils se taisent. Je gage que l’un d’entre eux garde l’oreille collée contre la porte tandis que les autres retiennent leur souffle. Ils attendent que tu leur reviennes, Isa. La beauté les fascine, c’est une richesse qu’ils ne posséderont jamais. Ils ont grand respect pour elle. Et tu es très belle.
Isabeau se sentit rougir sous l’œillade insistante de la gitane, qui la détaillait.
– Où est Croquemitaine ? interrogea-t-elle pour dissimuler sa gêne.
– Ici, ailleurs, partout, se mit à rire la gitane. Il est le roi.
Elle s’écarta de la couche et saisit la main d’Isabeau pour l’inciter à se redresser. Isabeau s’assit et détailla le curieux endroit où on l’avait amenée. Tout autour d’elle n’était que richesse et splendeur. Vases précieux en or, argent et pierreries, toiles sublimes, tapisseries et tapis luxueux, il n’y avait pas un endroit où poser le regard sans être conquis.
La gitane tira un peu plus sur sa main.
– As-tu peur encore, Isa ? demanda-t-elle gentiment.
Isabeau lui répondit par un franc sourire. Non, elle n’avait plus peur. Elle se trouvait même stupide.
Elle se leva tout à fait et se laissa entraîner vers la porte. La gitane colla un œil contre le trou de la serrure avant de se retourner avec un air malicieux. Elle fît signe à Isabeau de l’imiter et celle-ci trouva en face d’elle un autre œil qui la regardait. Elle se recula en poussant un petit cri de surprise.
– Je te l’avais dit, Isa. Ils t’espèrent.
Elle posa sa longue main baguée sur le loquet avec l’intention de l’ouvrir, mais Isabeau arrêta son geste :
– Attends ! J’ai besoin de savoir.
La gitane suspendit son bras et pencha la tête.
– Savoir quoi, Isa ?
– Toi. Toi et Croquemitaine. Tu l’as embrassé, ajouta-t-elle, gênée.
– Oui, et alors ?
Elle ne semblait pas le moins du monde trouver cela anormal. Isabeau déglutit puis lâcha :
– Et dame Bertille ?
La gitane eut un hochement de tête navré.
– Tu ignores tout des lois de la cour des Miracles, Isa. Le mariage ici n’a pas le même sens qu’en haut. Lorsqu’une épouse ne peut donner un enfant au roi, alors il s’en choisit une deuxième qui le lui donnera. Bertille ne peut enfanter. Moi si, assura-t-elle en posant la main sur son ventre.
Isabeau étouffa un cri de surprise. Sous la paume arrondie, une enflure se devinait à travers l’étoffe des jupons.
– Bertille est-elle… répudiée ? insista Isabeau que cette idée bouleversait, tant elle s’était attachée à la naine.
– Non, par Dieu, non ! Nous élèverons l’enfant ensemble. C’est ainsi ici. Nous partageons tout ce qui est sain et bon. Il n’y a que les bourgeois pour jeter une femme stérile et l’humilier. Ici, si une mère meurt nous adoptons son petit, si une ne peut-être mère nous lui donnons à partager l’enfant d’une autre.
– Comme les louves, lâcha Isabeau, admirative.
– Oui, comme les louves. C’est un peu ce que nous sommes, Isa. Une meute de loups aux dents longues dont les bourgeois ont peur.
– Mais toi, tu n’es pas comme eux, tu es belle, vive…
– Les gitans sont un peuple harcelé parce que trop libre. Les miens ont été
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