La chapelle du Diable
passèrent sur le visage de Julianna,
surtout de l’étonnement mais aussi de la colère.
— Je peux pas le croire Marguerite… C’est épouvantable ! C’est impossible !
fit-elle, choquée, quand son amie se fut tue. Pis Georges le sait pas ?
reprit-elle.
— Y tuerait mon père de ses propres mains. Ton frère est pas un homme qui
accepterait qu’on ait touché à sa femme. Pis c’est déjà assez difficile de même,
j’pourrais pus le regarder dans les yeux. J’ai tellement honte, Julianna…
— Comment t’as fait, Marguerite, pendant toutes ces années, comment t’as fait ?
Pis ton p’tit bébé… enterré…
Julianna se retint à deux mains pour ne pas sortir de la pièce, prendre une
arme, n’importe laquelle, et aller frapper cet homme, ce père indigne, ce
porc…
— Tu peux pas savoir comment ça me fait du bien de te l’avoir dit, dit
Marguerite, soulagée.
Elle se sentait légère, délivrée d’un poids terrible.
Julianna se leva et alla se planter devant la fenêtre. Elle passa ses mains
dans son visage et se frotta les tempes, essayant de chasser les images
d’inceste et d’infanticide.
— Marguerite, souffla-t-elle, bouleversée. Je crois que je pourrais moi-même le
tuer pour ce qu’il t’a fait…
— Reviens près de moé, Julianna.
Elle obéit mais délaissa la chaise pour le rebord du lit. Elle prit la main de
Marguerite dans la sienne.
— Je pensais même pas qu’un père pouvait poser de tels gestes, avoua
Julianna.
— J’ai pas une très belle famille…
Longuement Marguerite s’épancha, racontant son enfance, l’animosité de son
frère envers elle. Plus elle y pensait, plus elle était convaincue que si son
grand frère Paul-Émile la détestait tant, c’était par jalousie. Il se faisait
maltraiter par son père, pas une journée ne se passait sans qu’il reçoive des
coups, tandis qu’elle, il ne la touchait pas. Enfin, c’était ce que Paul-Émile
avait dû croire. S’il avait su quelles blessures intimes leur père lui faisait
subir à elle… Mais cette maltraitance ne laissait pas de bleus. Marguerite
raconta tout cela à Julianna et plus. Pendant de longues minutes, elle confia
ses rêves de fillette, ses agressions d’adolescente, ses déceptions de femme…
Elle lui avoua les sentiments profonds qu’elle avait pour Julianna et elle
termina en l’implorant.
— Y faut que tu m’aides…
— À quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Marguerite ?
La femme émaciée se redressa et retrouva un peu de force tandis qu’elle
suppliait Julianna d’accéder à sa demande.
— J’veux pas mourir icitte ! J’veux pus le voir… J’veux pas qu’y touche à
Sophie ! Je l’sais pas comment, Julianna, mais j’veux que tu nous emmènes avec
toé, à Montréal, n’importe où, mais prends-moé avec toé, Julianna, me laisse pas
icitte, je t’en supplie ! J’veux revoirle soleil, sentir les
fleurs, j’veux que les étoiles brillent à nouveau pour moé. Icitte c’est la
grande noirceur. Chus déjà morte… Donne-moé quelques jours de bonheur. Sors moé
de cette chambre !
Sa belle-sœur s’agrippait à elle, telle une enfant paniquée. Julianna entoura
Marguerite de ses bras et la berça avec tendresse. En pleurant, elle lui promit
de l’aider.
— J’vas trouver une idée, je le sais pas quoi, mais j’vas trouver quelque
chose, pis tout va s’arranger Marguerite, je te le jure…
Plus tard, le visage fermé et sévère, elle sortit de la chambre en refermant
doucement la porte derrière elle. Marguerite s’était endormie, rassurée par la
promesse de Julianna. Sans dire un mot aux occupants de la maison qui la
regardaient, intrigués, elle sortit sur la galerie prendre une grande goulée
d’air. Les mains agrippées à la balustrade, elle essaya de reprendre contenance.
Elle devait trouver une solution… Comment faire pour emmener Marguerite et ses
enfants hors d’ici ? Elle parlerait à sa marraine et lui demanderait de l’aide.
Sans tout lui dévoiler, elle pourrait lui faire comprendre l’importance et la
difficulté de la situation. Elle devait penser à une idée. Il était hors de
question de les emmener à Montréal. Tout en regardant l’horizon, elle pria.
Soudain, son visage s’éclaira. La ferme des parents de Marguerite était isolée,
au bout d’un rang, dans un cul-de-sac. Tout autour
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