La chevauchée vers l'empire
traces d’un oiseau en vol. À quatre reprises, Djalal al-Din avait essayé
de reprendre avec son père la direction du sud. Chaque fois ils avaient aperçu
au loin une ligne d’éclaireurs largement déployée pour faire précisément
échouer un tel plan. À la dernière tentative, ils avaient été forcés de fuir
jusqu’à l’épuisement et s’étaient finalement fondus dans la foule du marché d’une
ville. Ils s’étaient échappés de justesse et son père avait commencé à tousser
deux jours plus tard, après avoir dormi une fois de trop sur un sol humide.
Les quatre frères s’étaient séparés à regret des derniers
gardes. Il était trop facile pour les Mongols de traquer un groupe nombreux ou
même les quelques dizaines d’hommes qui étaient obstinément demeurés auprès du
shah depuis qu’ils avaient fait serment de le servir. Il n’y avait plus
désormais que Djalal al-Din et ses trois jeunes frères pour s’occuper du vieux
monarque. Ils avaient changé de vêtements et de chevaux plus de fois qu’il ne
pouvait s’en souvenir. Il ne leur restait qu’un peu d’or pour acheter à manger
et il ne savait vraiment pas ce qu’ils deviendraient quand ils auraient épuisé
ces dernières ressources. Il glissa une main sous sa tunique pour toucher la
petite bourse pleine de pierres précieuses qu’il y cachait et le cliquetis des
gemmes roulant sous ses doigts le réconforta. Mais, loin des prêteurs des
grandes villes, comment en vendre ne serait-ce qu’une en toute sécurité ? C’était
rageant. Ses frères et lui étaient incapables de vivre de la terre comme les
Mongols. Il était né et avait grandi dans la soie, entouré de serviteurs pour
répondre à ses moindres caprices.
Son père toussa, s’étouffa, et Djalal al-Din tendit le bras
pour l’aider à s’asseoir. Il ne se rappelait plus le nom de la petite ville où
ils avaient fait halte. Les Mongols en traversaient peut-être les faubourgs au
moment même où le shah peinait à reprendre sa respiration. Une nuit de plus à
dormir par terre l’aurait tué, Djalal al-Din en était sûr. Si c’était la
volonté d’Allah qu’ils se fassent prendre cette nuit-là, que ce soit au moins
dans des vêtements secs, avec un vrai repas dans leurs estomacs rétrécis. Cela
valait mieux qu’être surpris dormant dans un champ.
— Mon fils ? appela Mohammed d’une voix plaintive.
Djalal al-Din pressa une main sur le front de son père, le sentit
brûlant. Il avait la fièvre et ne s’en rendait peut-être pas compte.
— Chh , père. Tu vas réveiller les valets d’écurie.
Nous sommes en sécurité pour la nuit.
Le shah voulut répondre mais une quinte de toux brisa ses
mots en sons dépourvus de sens. Djalal al-Din grimaça en l’entendant. L’aube
approchait et il n’avait pas fermé l’œil. Pas question de dormir alors que son
père avait besoin de lui.
La mer Caspienne était à plus de quatre cents lieues de
cette petite ville misérable perdue au milieu de champs éclairés par la lune. Djalal
al-Din n’était jamais allé plus loin. Il imaginait mal les terres qui s’étendaient
au-delà et les gens qui y vivaient, mais ils devraient se cacher parmi eux si
la ligne mongole continuait à les repousser loin des cités du shah. Ses frères
et lui cherchaient désespérément un moyen de se glisser entre ceux qui les
poursuivaient. Ils avaient même laissé trois gardes derrière, cachés sous des
feuilles humides, afin que les Mongols passent sans les voir. S’ils avaient
survécu, ils leur seraient sûrement venus en aide à l’arrivée de l’hiver. Chaque
bruit dans la nuit était terrifiant pour le shah et ses fils, qui ne souriaient
plus d’un ennemi qui ne s’arrêtait jamais, qui ne s’arrêterait pas avant de les
avoir retrouvés et exterminés.
Épuisé, le shah Mohammed se laissa retomber sur la paillasse
que Djalal al-Din lui avait trouvée. Ses autres fils devaient dormir dans la
saleté de l’écurie, et c’était cependant mieux que tout ce qu’ils avaient connu
depuis des mois. Djalal al-Din entendit la respiration de son père s’apaiser et
maudit la maladie qui l’avait frappé. La distance qu’ils parcouraient dans leur
fuite se réduisait chaque jour et les Mongols ne se déplaçaient sûrement pas
aussi lentement.
Pendant que son père dormait, il songea à disparaître tout
simplement dans la nature. Ils avaient gardé les chevaux tant qu’ils espéraient
réussir à
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