La chevauchée vers l'empire
moi ?
Süböteï prit une longue inspiration.
— Tu n’as que sept mille hommes, ils ne tiendront pas
devant mon tuman. Leur sort sera lié à la décision que je dois te demander de
prendre.
Immobile comme un bloc de pierre, Djötchi ne trahit rien de
ses sentiments et attendit que Süböteï poursuive.
— Si tu acceptes de revenir seul, nous les laisserons
tranquilles. Si tu refuses, je devrai les massacrer tous.
— Si tu le peux, repartit Djötchi, dont la colère s’embrasait.
— Oui, mais tu sais que je le peux.
— Pas si je te fais égorger maintenant. Mes hommes se
battront pour leurs foyers.
— Les miens combattront pour me venger. Pense en chef, Djötchi.
Tu les as amenés ici, loin de ton père. Ils t’ont confié leur honneur et leur
vie. Veux-tu les voir tous morts ?
Le fils du khan se leva si brusquement que son bol tomba et
se brisa par terre.
— Tu espères que je vais rentrer pour me faire égorger
par mon père ? Que je vais abandonner tout ce que j’ai bâti ici ? Tu
es fou.
— Ton père ne veut pas de tes hommes. En le trahissant,
tu l’as humilié publiquement. Il ne les pourchassera pas si tu reviens. Oui, tu
mourras. Tu t’attendais à ce que je te mente ? Tu seras exécuté pour l’exemple,
pour dissuader quiconque songerait à se retourner contre lui. Mais tes hommes
ne seront pas inquiétés. Quand tu auras quitté ce camp, personne ne les
traquera, pas tant que je vivrai.
Süböteï se leva à son tour, l’expression grave.
— C’est toi qui les as mis dans cette situation, Djötchi.
Leur vie est entre tes mains. Soit ils meurent, soit tu m’accompagnes et ils
ont la vie sauve. C’est le choix que tu dois faire. Maintenant.
Süböteï avait de la peine devant la détresse de son jeune
ami face à ce dilemme. Finalement, la lueur combative des yeux de Djötchi s’éteignit
et il se rassit sur son lit avec un soupir, fixant le vide d’un regard mort.
— J’aurais dû savoir que mon père ne me laisserait
jamais en paix, murmura-t-il. Je lui ai tout donné et il me poursuit encore.
Le sourire las qu’il adressa à Süböteï manqua briser le cœur
du général.
— Qu’est-ce qu’une vie, après tout ? dit Djötchi. Même
la mienne.
Il se redressa, se frotta durement le visage de ses deux
mains pour que Süböteï ne voie pas ses yeux embués.
— L’endroit est bon, reprit-il. Nous avons même
commencé à faire le commerce de fourrures. Mes hommes ont razzié des femmes et,
dans peu de temps, il y aura ici des enfants qui n’auront jamais entendu le nom
de Gengis. Tu peux imaginer cela ?
— Je peux. Tu as offert une bonne vie à tes hommes, mais
il y a un prix à payer.
Djötchi regarda longuement son ancien chef, ferma les yeux.
— Très bien, général. Mon père a bien choisi son
émissaire, en t’envoyant ici.
Il se leva de nouveau, retrouva un peu d’assurance quand il
ouvrit la porte, laissant le vent s’engouffrer dans la cabane.
— Reprends tes armes, général, dit-il en indiquant le
tas resté sur la neige.
Les visages des hommes qui s’étaient rassemblés s’éclairèrent
quand ils virent leur chef. Süböteï sortit à son tour, récupéra son sabre et
ses dagues sous les regards hostiles. Laissant les morceaux d’armure, il
attacha son sabre à sa ceinture et glissa les dagues dans ses bottes. Il s’éloigna
aussitôt pour ne pas entendre Djötchi parler à ses officiers, il ne l’aurait
pas supporté. Son cheval l’attendait, la bride tenue par un guerrier qu’il ne
connaissait pas. Süböteï le salua machinalement d’un signe de tête en montant
en selle ; l’homme regardait par-dessus son épaule.
Djötchi approcha. Il avait l’air fatigué et semblait plus
petit, comme si on lui avait pris quelque chose.
— Retourne auprès de ton tuman, général, dit le fils de
Gengis. Je te rejoindrai dans trois jours. J’ai des choses à expliquer ici.
Dévoré de honte, Süböteï s’inclina.
— Je t’attendrai, général.
Le titre fit sursauter légèrement Djötchi, mais il hocha la
tête et repartit.
La neige tombait toujours quand la lumière déclina, au bout
du troisième jour. Süböteï n’était pas sûr que Djötchi viendrait comme promis, mais
il n’avait pas perdu son temps. Ses hommes attendaient dans le froid, prêts à
une attaque. Il avait envoyé des éclaireurs dans toutes les directions pour ne
pas se laisser surprendre. Posté devant ses hommes, il
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