La Chute Des Géants: Le Siècle
manifestement, il avait déjà conduit Maud dans l’East End. Une
demi-heure plus tard, il garait la voiture devant la chapelle évangélique du
Calvaire. En voyant cette affreuse petite bâtisse au toit de tôle, qu’on aurait
pu croire transplantée d’Aberowen, Fitz se demanda si son pasteur était
gallois.
Le thé était déjà servi. La salle
grouillait de jeunes femmes et d’enfants. L’odeur y était pire qu’à la caserne,
et Fitz dut résister à l’envie de se couvrir le nez d’un mouchoir.
Maud et Hermia se mirent
immédiatement à la tâche, tante Herm se chargeant de diriger les femmes
vers la pièce où Maud les recevait une par une. Fitz passa en boitant d’une
table à l’autre au milieu des enfants qui jouaient par terre. Il interrogea les
femmes sur l’affectation de leurs maris et sur ce qu’elles faisaient dans la
vie. D’ordinaire, quand il adressait la parole à de jeunes filles, elles se
mettaient à glousser bêtement et perdaient l’usage de la parole. Celles-ci, en
revanche, ne se laissaient pas intimider. Elles lui demandèrent dans quel
régiment il avait servi lui-même et dans quelles circonstances il avait été blessé.
Il avait déjà parcouru la moitié
de la pièce lorsqu’il aperçut Ethel.
Il avait bien remarqué les deux
bureaux au fond de la salle et s’était vaguement demandé qui occupait la pièce
voisine de celle où Maud était entrée. Par hasard, il releva les yeux juste au
moment où la porte s’ouvrait sur Ethel sortant.
Il ne l’avait pas vue depuis deux
ans, mais elle n’avait guère changé. Ses boucles sombres rebondissaient sur ses
épaules à chacun de ses pas et son sourire était plus radieux qu’un rayon de
soleil. Elle portait une robe terne et usée comme toutes les femmes ici, à l’exception
de Maud et de tante Herm, mais elle avait toujours cette même silhouette
bien prise, et Fitz ne put s’empêcher de penser au corps menu qu’il avait si
bien connu. Elle ne lui avait même pas jeté un regard et il était à nouveau
sous le charme. À croire qu’il ne s’était pas écoulé une minute depuis le jour
où ils s’étaient laissés tomber sur le lit de la chambre des gardénias en riant
et en se couvrant mutuellement de baisers.
Elle avait rejoint le seul autre
homme présent dans cette salle, un type voûté en costume gris foncé coupé dans
un tissu grossier, assis à une table en train de prendre des notes dans un
registre. Fitz surprit, malgré les verres épais de ses lunettes, le regard
d’adoration qu’il posait sur Ethel. Elle lui parlait avec une gentille
simplicité et Fitz se demanda s’ils étaient mariés.
Ethel se retourna et croisa le
regard de Fitz. Ses sourcils se haussèrent, sa bouche forma un O ébahi. Elle
esquissa un mouvement de recul comme si elle avait reçu un coup, et heurta la
chaise derrière elle. La femme qui l’occupait la dévisagea, l’air irrité. Ethel
lui marmonna « Pardon » du bout des lèvres, sans même la regarder.
Les yeux rivés sur Ethel, Fitz se
leva du siège sur lequel il s’était assis, ce qui n’était pas facile avec sa
jambe raide. Elle marqua une hésitation, ne sachant si elle devait s’approcher
de lui ou se réfugier dans son bureau. Il lança : « Bonjour,
Ethel. » Il y avait trop de bruit dans la salle pour qu’elle puisse
l’entendre, mais elle verrait certainement ses lèvres remuer et devinerait ce
qu’il avait dit.
Elle se décida enfin et se
dirigea vers lui.
« Bonjour, Lord Fitzherbert »,
dit-elle, et son accent chantant du pays de Galles transforma en mélodie ces
mots si banals. Elle lui tendit la main, il la serra. Elle avait la peau rêche.
Imitant la froideur avec laquelle
elle s’était adressée à lui, il demanda : « Comment allez-vous,
madame Williams ? »
Elle approcha une chaise et
s’assit. Tout en reprenant place sur son propre siège, Fitz ne put qu’admirer
l’habileté avec laquelle elle venait de les placer sur un pied d’égalité tout
en excluant la moindre intimité.
« Je vous ai aperçu lors de
la commémoration au Rec d’Aberowen, dit-elle. J’ai été bien désolée… » Sa
voix s’étrangla. Elle baissa les yeux et reprit. « J’ai été très désolée
de voir que vous aviez été blessé. J’espère que vous vous remettez.
— Doucement. » Il
voyait bien que sa sollicitude était sincère. Apparemment, elle ne le haïssait
pas, malgré tout ce qui s’était passé. Il en fut
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