La Chute Des Géants: Le Siècle
N’était-ce pas exactement ce qu’on appelait une « prostituée »?
Elle ne pourrait jamais inviter ses parents dans son refuge de Chelsea :
ils comprendraient tout de suite la situation.
Cela lui importait-il ?
Peut-être que non, mais ce n’était pas tout. Elle attendait davantage de la vie
que le simple confort. Maîtresse en titre d’un millionnaire, elle pourrait
difficilement poursuivre sa lutte en faveur des femmes de la classe ouvrière.
Ce serait la fin de son engagement politique. Elle perdrait tout contact avec
Bernie et Mildred, elle serait même gênée de voir Maud.
Mais qui était-elle pour exiger
autant de la vie ? Elle n’était qu’Ethel Williams, fille de mineurs !
Comment pouvait-elle faire la dégoûtée alors qu’on lui offrait une vie plus
facile ? Elle pouvait s’estimer heureuse ! se dit-elle, usant d’une
expression chère à Bernie.
Et puis, il y avait son fils.
Lloyd aurait une gouvernante ; plus tard, Fitz lui payerait des études
dans un collège huppé. Il grandirait parmi l’élite du pays et mènerait une vie
privilégiée. Avait-elle le droit de le priver d’une chance pareille ?
Elle hésitait encore quand en
ouvrant les journaux dans le bureau qu’elle partageait avec Maud, elle y
découvrit une nouvelle non moins sensationnelle : le 12 décembre, le
chancelier allemand, Theobald von Bethmann-Hollweg, avait proposé aux Alliés
l’ouverture de pourparlers de paix.
Ethel ne se sentait plus de joie.
La paix ! Était-ce possible ? Billy allait-il rentrer à la
maison ?
Le Premier ministre français
avait déjà qualifié cette note de manœuvre habile, et le ministre russe des
Affaires étrangères avait dénoncé les « propositions mensongères »
des Allemands. Mais ce qui comptait, se dit Ethel, c’était la réaction
britannique.
Prétextant un mal de gorge, Lloyd George
avait renoncé à toute déclaration publique. Certes, en décembre, la moitié de Londres
toussait et l’autre était enrhumée, toutefois Ethel soupçonnait Lloyd George
de vouloir prendre le temps de réfléchir. C’était sûrement bon signe. Une
réponse immédiate aurait forcément été négative ; tout espoir n’était donc
pas perdu. Au moins, il envisageait la possibilité d’un cessez-le-feu, se
dit-elle avec optimisme.
Sur ces entrefaites, le président
Wilson jeta tout le poids de l’Amérique dans la balance, en faveur de la paix.
Il avait suggéré qu’en préambule aux pourparlers toutes les puissances
belligérantes précisent leurs objectifs : ce qu’elles cherchaient à obtenir
en poursuivant le combat.
« Ça, ça leur pose un
problème, déclara Bernie Leckwith le soir même. Elles ont déjà oublié pourquoi
elles sont entrées en guerre. Aujourd’hui, elles ne se battent plus que parce
qu’elles veulent gagner. »
Ces paroles rappelèrent à Ethel
la remarque de Mrs Dai Cheval à propos de la grève : « Ces
hommes, quand ils commencent à se battre, ils n’ont plus qu’une idée en
tête : gagner. Ils ne céderont à aucun prix. » Elle se demanda
comment cette proposition de paix aurait été accueillie si le fauteuil de
Premier ministre avait été occupé par une femme.
Mais Bernie avait raison, comme
elle put s’en convaincre dans les jours qui suivirent : la proposition du
président Wilson se heurta à un étrange silence. Aucun pays n’y répondit
immédiatement. Ethel ne décolérait pas. Comment pouvaient-ils continuer à se
battre s’ils ne savaient même plus pourquoi ?
Bernie organisa une réunion
publique à la fin de la semaine, pour débattre de la note allemande. Ce
jour-là, lorsque Ethel se réveilla, elle découvrit au pied de son lit son frère
en uniforme. « Billy ! s’écria-t-elle. Tu es vivant !
— Et j’ai une semaine de
permission. Allez, lève-toi, flemmarde ! »
Elle bondit sur ses pieds, passa
une robe de chambre sur sa chemise de nuit et se jeta dans ses bras. « Oh,
Billy, que je suis heureuse de te voir ! Et tu es sergent, par-dessus le
marché ! ajouta-t-elle en remarquant les galons sur sa manche.
— Eh oui.
— Comment es-tu entré ?
— Mildred m’a ouvert. En
fait, je suis arrivé cette nuit.
— Où as-tu dormi ?
— En haut », dit-il
avec un petit air gêné.
Ethel sourit. « Heureux
garçon !
— Je l’aime tellement, Eth.
— Moi aussi. Mildred, c’est
de l’or en barre. Tu vas l’épouser ?
— Oui, si je reviens vivant.
— Et la
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