La Chute Des Géants: Le Siècle
l’avantage des Allemands, et ils disposent
maintenant du pétrole roumain.
— Exactement, approuva Maud.
C’est toujours la même chose : un pas en avant, un pas en arrière. Quand
finiront-ils par comprendre !
— La nomination de Lloyd George
n’est pas un signe encourageant, dit Gus.
— Ah, là, vous pourriez
avoir tort.
— Vous croyez ? Il a
établi sa réputation politique en se montrant plus agressif que tous les
autres. Il ne lui sera pas facile de conclure la paix.
— N’en soyez pas si sûr. Lloyd George
est imprévisible. Il peut très bien faire volte-face. Cela ne surprendrait que
ceux qui ont été assez naïfs pour le croire sincère.
— Voilà qui redonne un peu
espoir.
— Tout de même, je regrette
que nous n’ayons pas une femme Premier ministre. »
Gus se retint de lui dire qu’il
doutait fort que cela arrive un jour.
« Je voudrais vous demander
quelque chose », fit-elle en s’arrêtant.
Gus se tourna pour lui faire
face. Peut-être la vue des tableaux l’avait-il sensibilisé à la beauté,
toujours est-il qu’il se surprit à admirer son visage levé vers lui, la fine
arête du nez, le contour accusé du menton, les pommettes hautes, le long
cou ; l’aspect anguleux des traits de Maud était adouci par ses lèvres
pleines et ses grands yeux verts. « Tout ce que vous voudrez.
— Que vous a dit Walter
exactement ? »
Gus se remémora leur étonnante
conversation au bar de l’hôtel Adlon à Berlin. « Il m’a dit qu’il était
obligé de me confier un secret. Mais en fait, il ne m’a rien révélé du tout.
— Il a dû penser que vous le
devineriez.
— J’en ai déduit qu’il était
amoureux de vous. Et j’ai pu constater, à votre réaction lorsque je vous ai
remis sa lettre à Ty Gwyn, que ce sentiment était réciproque. » Il sourit.
« Si je puis me permettre, il a beaucoup de chance. »
Elle hocha la tête. Elle avait
l’air curieusement soulagé, et Gus songea que le secret ne devait pas se borner
à cela. Voilà pourquoi elle tenait à découvrir ce qu’il savait exactement. Il
se demanda ce qu’ils pouvaient cacher d’autre. Peut-être étaient-ils déjà
fiancés ?
Ils recommencèrent à déambuler.
Je comprends pourquoi il vous aime, pensa Gus. Je pourrais m’éprendre de vous
en un clin d’œil.
Elle l’étonna encore en lançant à
brûle-pourpoint : « Avez-vous déjà été amoureux, monsieur Dewar ? »
La question était indiscrète,
mais il y répondit tout de même. « Oui, deux fois.
— Et vous ne l’êtes
plus ? »
Il éprouva une envie soudaine de
se confier à elle. « L’année où la guerre a éclaté, j’ai eu le mauvais
goût de tomber amoureux d’une femme mariée.
— Elle vous aimait ?
— Oui.
— Que s’est-il passé ?
— Je lui ai demandé de
quitter son mari pour moi. Je n’aurais pas dû le faire, vous devez être
scandalisée. Mais elle avait une morale bien plus haute que la mienne, car elle
a rejeté ma proposition.
— Il en faut plus pour me
scandaliser. Et la deuxième fois ?
— L’année dernière, je me
suis fiancé avec une jeune fille de ma ville natale, Buffalo mais elle en a
épousé un autre.
— Oh, je suis désolée. Je
n’aurais pas dû vous poser la question. J’ai ravivé des souvenirs douloureux.
— Très douloureux, en effet.
— Excusez-moi de vous le
dire, mais votre peine me réconforte. C’est que vous non plus, vous n’ignorez
rien des tourments de l’amour.
— Vous avez raison.
— Peut-être la paix
viendra-t-elle enfin. Alors toutes ces souffrances ne seront plus qu’un mauvais
souvenir.
— Je l’espère de tout cœur, Lady Maud. »
4.
Ethel se tourmenta pendant des jours sans
parvenir à se décider. Dans le froid de sa cour, en tournant la manivelle de
l’essoreuse, elle s’imaginait dans la jolie maison de Chelsea, Lloyd gambadant
dans le jardin sous l’œil attentif d’une nurse. « Je te donnerai tout ce
que tu voudras », avait dit Fitz et elle savait que c’était vrai. Il
mettrait la maison à son nom. Il l’emmènerait en Suisse et dans le sud de la
France. Si elle insistait un peu, elle obtiendrait qu’il lui verse une rente
lui garantissant un revenu jusqu’à sa mort, même s’il se lassait d’elle – ce
qui n’arriverait pas, elle saurait y veiller !
C’était pourtant scandaleux et
répugnant ! se morigéna-t-elle. Elle se ferait payer pour faire
l’amour !
Weitere Kostenlose Bücher