La Chute Des Géants: Le Siècle
était
applaudi. « Je ne dis pas que l’Allemagne est innocente ! protesta
Maud. Je dis qu’aucun pays ne l’est ! Je dis que ce n’est pas pour
préserver la stabilité de l’Europe que nous nous battons, pas pour que justice
soit rendue aux Belges ni pour punir le militarisme allemand. Nous nous battons
parce que nous sommes trop orgueilleux pour reconnaître que nous nous sommes
trompés ! »
Un soldat en uniforme se leva à
son tour. Ethel reconnut avec fierté Billy. « J’ai participé à la bataille
de la Somme, dit-il en guise de préambule et aussitôt le silence se fit. Je
vais vous expliquer pourquoi nous avons perdu tant d’hommes là-bas. » Dans
sa voix puissante, Ethel retrouva l’assurance convaincue et tranquille de leur
père, et elle pensa que son frère aurait fait, lui aussi, un grand prédicateur.
« Nos officiers nous ont affirmé – et il pointa un doigt accusateur
vers Fitz – que cet assaut serait une promenade de santé. »
Ethel vit Fitz remuer sur sa
chaise, mal à l’aise.
« On a prétendu, continua
Billy, que notre artillerie avait anéanti les positions ennemies, démoli leurs
tranchées, détruit leurs abris et qu’en arrivant en face, nous ne trouverions
que des cadavres d’Allemands. »
Il ne s’adressait pas aux
personnes assises sur l’estrade, nota Ethel, il promenait son regard intense
sur la salle pour s’assurer que tous les yeux étaient rivés sur lui.
« Pourquoi nous a-t-on dit
ça ? » Il regarda Fitz droit dans les yeux et reprit, en haussant le
ton : « Des choses qui n’étaient pas vraies ? » Des
murmures approbateurs se firent entendre.
Le visage de Fitz s’assombrit.
Pour les hommes de sa classe, être accusé de mensonge était la pire des
insultes. Ethel ne l’ignorait pas, son frère non plus.
Billy poursuivit : « Les
positions allemandes n’étaient absolument pas détruites. Nous avons pu nous en
convaincre quand nous nous sommes retrouvés sous le feu de leurs
mitrailleuses. »
Le public avait du mal à se
contenir. Un cri fusa : « Honte à eux ! »
Fitz voulut répliquer, mais
Bernie intervint : « Un moment, je vous prie, Lord Fitzherbert,
laissez l’orateur achever. » Fitz se rassit en secouant énergiquement la
tête.
Billy éleva la voix. « Nos
officiers avaient-ils vérifié, par des moyens de reconnaissance aérienne ou par
l’envoi de patrouilles, l’étendue des dégâts que notre artillerie avait causés
sur les lignes allemandes ? Dans le cas contraire, pourquoi ne l’ont-ils
pas fait ?»
Fitz se dressa, furieux. Des
huées montèrent de la foule, assorties de quelques encouragements. « Vous
ne comprenez pas !» s’écria-t-il.
La voix de Billy couvrit la
sienne : « S’ils savaient la vérité, pourquoi nous ont-ils dit le
contraire ? »
Malgré les vociférations de Fitz et
de la moitié de l’assistance, la voix de Billy résonnait au-dessus du
vacarme : « Je n’ai qu’une question à poser : nos officiers
sont-ils des imbéciles ou des menteurs ? »
5.
Ethel reçut de Fitz une lettre rédigée de sa
grande écriture assurée sur son luxueux papier à lettres orné de ses armoiries.
Il n’évoquait pas la réunion d’Aldgate, mais l’invitait au palais de Westminster
le lendemain, mardi 19 décembre, pour assister, depuis la galerie des
visiteurs, au premier discours de Lloyd George à la Chambre des communes
en qualité de Premier ministre. Elle était aux anges. Elle n’avait jamais
imaginé voir un jour l’intérieur du palais de Westminster et encore moins y
entendre son héros y prendre la parole.
« Pourquoi crois-tu qu’il t’a
invitée ?» lui demanda Bernie le soir même, posant comme toujours la vraie
question.
Ethel n’avait pas de réponse
plausible à lui proposer. La bonté pure et simple n’avait jamais été le trait
dominant du caractère de Fitz, même s’il lui arrivait de se montrer généreux – lorsque
cela lui convenait. Avec sa perspicacité habituelle, Bernie insinuait que le Comte cherchait
à obtenir une faveur en échange.
S’il était plus cérébral
qu’intuitif, Bernie n’en avait pas moins senti qu’il y avait quelque chose
entre Fitz et Ethel, et il y avait réagi en se montrant plus entreprenant. Ses
avances n’avaient rien de très spectaculaire – ce n’était pas dans sa
nature –, mais il gardait la main d’Ethel dans la sienne un peu plus longtemps
que nécessaire, se tenait un
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